samedi 30 mai 2020

Doudou



     Doudou a prévenu hier : il sent le caca prout, il voudrait prendre un bain. Mon petit garçon est d'accord, en plus il fait beau dehors, il sèchera vite.

     L'immerger une petite bassine, bien le mouiller avant le savonnage.
     Mais quand même, au moment d'enfoncer la tête, un scrupule.
     Bien sûr que c'est un bout de tissu inerte. 
     Mais ce bout de tissu accompagne chaque somme de ton enfant, ces souffles où il s'abandonne à la nuit, sur le dos, bras en croix, bouche entrouverte. Doudou au bout des doigts. Pour le resserrer contre lui à chaque changement de position.
   
     Doudou qui était là pour ces deux jours à l'hôpital, seule tache de douceur dans un lit médicalisé.

      Alors, tu immerges Doudou. Mais tu laisses dépasser la truffe de l'eau. Pour préserver son souffle.
     Bout de tissu inerte.
     Qui sait.

vendredi 29 mai 2020

Futile

   
La nuit, du tilleul, il ne reste qu'une constellation solaire

     Quand ton blog s'appelle "Frugale", tu te sens l'obligation d'un peu de transparence dans ces moments de non frugalité.  Ceux où tu as envie de tout et décides que, d'accord, tu l'auras.

     Vivre avec peu, et l'apprécier, est mon aspiration, non mon chemin par défaut. 

     Envoyez un mois sans achat dans le planning, qui se transforme en deux mois sans achat mondialisé (on fait les choses en grand) sur fond relativement angoissant.

      Ajoutez quelques touches d'objets antédiluviens (oui, j'ai enfin jeté ce fard à paupières donné par une amie en 2008, et non, je n'exagère pas sur la date) qui gagneraient à être remplacés. Ou éliminés, mais c'est moins drôle.

     Envoyez là-dessus une furieuse envie de jouer, de tester, de légèreté, de dédramatiser.

     Complétez par du temps pour mener toutes les investigations possibles dans des domaines où je ne les mène pas d'habitude.

     Finissez en ajoutant une grosse louche d'impatience - je veux tout, tout de suite, et que ça saute. J'y travaille, d'habitude. Et puis là, non, et je m'en fous. 

     Vous obtenez des tas de petites choses non essentielles qui viennent garnir les étagères. Et sans regret. Des fards à paupières pour les paillettes, des produits pour les senteurs, des crèmes pour ma peau invraisemblable et que la saison m'amène à dévoiler, et j'en passe.

      Je veux jouer.

      J'ai acheté un nettoyant uniquement pour son odeur et une guirlande solaire pour illuminer le grand tilleul.
       De toutes petites lampes torches, distribuées aux enfants, pour ne plus jamais manquer de lumière.
          De minuscules plantes, pour voir quelque chose pousser malgré les virus.
          Quatre poules, parce qu'on n'en avait plus qu'une et que c'est un animal grégaire.

          De la vie, de la couleur, de la lumière, de la douceur.
          Non, ça ne s'achète pas. Mais un peu, quand même. Essayer est-il pitoyable ? Possible. Pas grave. 
           Je joue.

vendredi 15 mai 2020

Rénovation

Avant...
     Un vieux tabouret oublié au fond de la cabane à outils, assise cassée en deux, le bois sans intérêt à l'origine a été mangé par le temps, décapé de son mince vernis. L'assise est recollée. Pas de quoi s'asseoir dessus, pas assez solide ! pas grave.

Après !

     Une sous-couche blanche, deux couches de peinture jaune pastel-mais-pas-mou (un peu plus vif en vrai qu'en photo). De l'huile de tournesol de cuisine sur le bois, entre l'assise et les "chaussettes". Coût de l'opération : le pot de peinture, mais peu entamé, qui servira encore. C'est apaisant de peindre, éclairer un objet, jouer avec les couleurs. J'aime repeindre. Je le fais toujours en écoutant un livre audio - là c'était celui d'Olivia de Lamberterie, trouvé à la bibliothèque, sur son frère mort. Mélancolique mais à rythme lent. Je le trouvais mal lu... mais c'est lu par l'auteur, on lui pardonne.

     Et sur le frêle tabouret, depuis, une plante.

mercredi 6 mai 2020

Quotidien

        Dans une semaine, nous serons à la veille de la rentrée. 
       Une rentrée le 14 mai, était-ce possible ?
      Mes enfants retournent à l'école, deux jours par semaines, entourés d'infinies précautions pour lesquelles je me sens assez confiante. 
        Sur le risque objectif, d'abord : deux adultes pour dix enfants, déjeuner en classe, pas de transport, de garderie, récréations décalées par rapport aux autres classes. Mesures d'hygiène systématiques appliquées et renforcées par la personne qui seconde la maîtresse.
         Sur le bénéfice réel ensuite : certes, ils vont reprendre contact avec autrui, quelle horreur ! quel bonheur plutôt. Revoir ses amis, sa maîtresse, même à un ou deux mètres de distance. On peut se sentir si proche sans se toucher. Ils vont vivre leur vie et rentrer le soir en ayant des choses à raconter.
             Quant au petit, l'école ne reprend pas pour lui jusqu'à nouvel ordre. Nous verrons. Nous nous adapterons. 

          Moi aussi, j'y retourne. Réunion le 14 au matin (du moins, ai-je supposé que ce ne serait que le matin… quoi faire une journée entière, après tout ? et mieux vaut limiter les contacts de foule). J'appréhende l'aspect anxiogène de la chose. Des masques, de la distance, on a tant l'habitude de se rapprocher, de partager les espaces et objets communs sans réfléchir. Et en même temps, bien sûr qu'on va partager. Autrement. Une fois le choc de voir une équipe masquée, ça devrait aller mieux. Retrouver les mêmes. Celle qui râle, celui qui n'en finit pas avec sa phrase alambiquée, celui qui fait rire, ceux qu'on aime beaucoup, ceux qu'on connaît moins bien mais qui tissent la toile de notre normalité, et pour ça, on est très content de les voir aussi.

       Faut-il renvoyer les enfants à l'école ?
       Chacun est juge. Suivre son instinct avant tout, car quand il est question de santé, de vie et de mort, il est essentiel d'avoir suivi sa ligne droite à soi, sa décision.
     Ai-je raison d'y renvoyer mes enfants ? Tout d'abord, pour reprendre le travail, il va bien falloir. Je pourrais essayer de réquisitionner un des grands frères mais est-ce légitime et seront-ils là quand le déconfinement aura sonné ? 
     Et puis, les risques véritables. Peu de malades chez les enfants, anormalement peu même. Quelques cas de maladie de Kawasaki, vraiment alarmants ceux-là, mais on parle de quelques dizaines sur le pays entier.
       Quelle logique y aurait-il pour moi à aller travailler, côtoyer des dizaines de personnes chaque jour, aller faire les courses hebdomadaires, passer à la bibliothèque et laisser mes enfants sous cloche ? Quel bénéfice ? Le virus, s'il devait circuler, viendrait plutôt de moi que d'eux. 
      Et puis, qui sait combien de temps nous vivrons dans cette ambiance ? en cohabitant avec ce virus ? Qui sait ? il va bien falloir l'apprivoiser. Nous éduquer à l'éviter au maximum. On ne peut pas vivre sous cloche pendant six mois. Cela perdrait de son sens. Bien que le confinement ait été absolument nécessaire, et on le voit bien avec le nombre de décès au Royaume-Uni, qui dépasse celui de la France alors que l'épidémie commençait moins virulente, mais qui a confiné plus tard.
     En ce moment, je suis peu charitable. J'ai envie de m'agacer. De ceux qui hurlent au scandale et demandent le report de la rentrée en septembre. Qui dit que ce sera mieux en septembre ? Vos enfants n'auront pas appris les gestes barrière à l'école. Vous auriez le droit d'aller à la plage mais pas d'aller travailler ? Je ne suis pas du genre à prôner le travail à tout prix, bien au contraire, mais à un moment donné, on ne peut pas non plus attendre que la planète soit désinfectée pour faire un pas.
     On va faire un pas, prudemment.
     Ce n'est pas la peur des autres qui m'agace. C'est ce ton scandalisé. Regardez le gouvernement, regardez comme ils ont mal géré telle et telle…
      Bon. Je m'en fiche, du gouvernement, en tant que tel. Je n'ai jamais fait de politique. Mais vous connaissez un seul gouvernement au monde qui était capable de gérer une crise pareille ? est-il vraiment temps de tirer sur l'ambulance ? De faire de la récupération politique à tout prix ? de crier haut et fort son pessimisme sur ce monde de merde qui ne changera jamais, et vous verrez, tout recommencera pareil après, on n'y croit pas une seconde, et blablabla…
     Le pessimiste n'a jamais dirigé un pays. Il est trop occupé à ressasser ses petites misères. Un peu de dignité, bon sang. 
        En écrivant ces mots, c'est moi qui en manque. 

      On va reprendre un quotidien qui n'aura plus rien à voir. Je vais savourer encore un peu cette parenthèse désenchantée, car elle est là, et elle mérite d'être vécue pleinement. Je suis en plein accord avec les parents qui choisiront de garder leur enfant chez eux la semaine prochaine, et en plein accord avec ceux qui feront le choix inverse. Il est urgent de cohabiter, tous, au même endroit ou à distance, mais ensemble, peu importe la façon.

     Parfois je me dis : et si on confinait le monde entier pour de vrai, selon un timing coordonné, pendant quatre semaines, chacun aurait fait ses provisions à l'avance, les personnes obligées de travailler auraient des contacts très limités avec les autres… on pourrait l'éteindre, cette épidémie, non ?
      Théoriquement.
     Mais...