dimanche 16 mai 2021

Frugale ?

La seule misère bienvenue à la maison :
cette tradescantia zebrina
(feuilles vertes et argent)

        Je rencontre une difficulté inédite et qui ferait se gausser quiconque. 
        Que faire de ton argent quand tu en as assez ? (en a-t-on jamais "trop" ?).
        Autant dire qu'on n'attire pas la compassion avec ce genre de considérations, et c'est bien légitime.

       Voilà la situation. 
       Il y a plusieurs années de cela, je visais une certaine frugalité pour atteindre deux objectifs de front :
- m'approcher d'une certaine indépendance financière
- pouvoir m'offrir les luxes qui comptaient pour moi.

        Oui, oui, je sais. Etre frugal pour vivre dans le luxe, ça paraît absurde. Et pourtant, non, pas pour moi. Je ne recherche pas le-luxe-standard-coopté-par-les-réseaux-sociaux-et-le-voisin, je me fiche pas mal de "keep up with the Johneses". Je veux mes luxes à moi. 

        Parfois, la situation actuelle me semble un entre-deux maladroit. Car ça patine, ça reste flou. J'ai toujours l'impression de dépenser plus que nécessaire, de n'atteindre rien. Mais est-ce le cas ? ne serait-ce pas la conséquence d'avoir déjà obtenu une partie de mes objectifs et de voir les suivants un peu trop loin sur le chemin? Comment persister à avancer quand l'horizon est loin et qu'on est bien, là, tranquille ? Comment se restreindre alors que, concrètement, on pourrait s'acheter tout ce qu'on veut ? (phrase à moduler. Je peux m'acheter à peu près tout ce que je veux, principalement car je suis beaucoup plus branchée bouquins, sac à main et plantes vertes que vacances aux Maldives et Porsche Cayenne) (pour moi, Cayenne, c'est du piment, c'est tout).

        Alors pourquoi ne pas s'auto-congratuler un peu ? Et remarquer les pratiques frugales qui me semblent évidentes mais ont contribué à me faire avancer ? Histoire de s'encourager pour la suite du chemin...

        Car oui, je dépense trop à mon goût. Des livres, des parfums, des produits en tous genres... pas en quantité indécente mais disons que je ne crains pas le manque, loin de là. Nous sommes clairement au-delà du nécessaire.

        Première chose, pourquoi se restreindre ? Pourquoi la frugalité ?
        Y renoncer, plonger dans une frénésie de consommation serait juste insensé. Tout ceci n'est pas si important. Je le sais bien, au fond, nous le savons tous : c'est davantage du plaisir que du bonheur qu'on s'offre ainsi. Pour la salubrité de l'esprit, il faut raison garder et mesure appliquer. Tout comme j'ai entendu parler plusieurs fois de "buffer time", des moments-tampon entre une activité et une autre, je pense qu'on a besoin de "buffer time" entre acquisitions, quelles qu'elles soient, pour ne pas virer en mode automatique. Voilà pourquoi à la boulangerie ce matin, je me suis retenue d'acheter des pâtisseries (la dernière fois ne remonte qu'à dix jours, c'est trop proche). Bien sûr que j'avais de quoi les payer. Ce n'aurait pas été bien méchant. Mais se blaser de manger des éclairs au chocolat, ça entrave ma morale.
        Et puis, les enfants. Il n'est pas question que le monde aille trop vite pour eux. J'ai déjà vite tendance à leur offrir des choses dont je sais qu'elles leur plairaient. A chaque retour de bibliothèque, le petit dernier me lance "Tu m'as asseté des livres ?" ce qui me fait sourire (acheté, emprunté, il s'en fiche tant qu'il peut les lire). Ils ont besoin de sécurité. L'abondance, la surabondance est facteur d'insécurité. On a remarqué des symptômes de stress post-traumatique chez des enfants dont la chambre débordait de jouets, aux Etats-Unis (Simplicity Parenting, Kim John Payne), qui se dissipaient quand on ôtait la moitié du contenu. 
        Je ne veux pas leur inculquer l'idée selon laquelle la meilleure chose à attendre est la prochaine acquisition, le prochain plaisir matériel. Ils ont la sagesse naturelle d'aimer tout autant une balade en forêt, et il appartient au parent de ne pas gâcher ça.

        Ensuite, la frugalité pour m'acheter du temps, de l'autonomie, de l'indépendance. Pour cela, mon plan il y a quelques années était d'investir dans l'immobilier et, un beau jour, vivre des loyers obtenus. Evidemment, dans les faits, c'est un peu plus compliqué que ça.
            Au stade où j'en suis, j'aimerais acheter un appartement à Paris (traduire par : un clapier sympathique dans le 5e arrondissement, où on puisse étendre le bras depuis le lit sans se cogner contre le four). J'ai du mal à y croire tant cela semble compliqué. Malgré tout cet objectif me semble le bon : il me parle vraiment, et quand bien même j'en changerais, il ne peut que m'inciter à une épargne importante (qui ouvre la porte à de nombreuses possibilités).

        Alors frugale ou pas ? Pas vraiment. Mais quand même, oui, par de nombreux petits aspects que je ne prends même plus en compte tant ils me semblent évidents. Comme par exemple :

1) ne jamais déjeuner à la cantine (n'importe quel reste du frigo fait l'affaire)
2) avoir remboursé par anticipation le crédit de la maison : on aurait dû le boucler cet été, or c'est fait depuis trois ans (j'ai argumenté fortement auprès de monsieur pour qu'on accumule l'épargne nécessaire)
3) avoir acheté 3 appartements il y a...six ans déjà ? qui sont en location depuis. Encore quatorze ans de crédit mais c'est autant qui ne part pas en dépenses ordinaires
4) être abonnée à deux bibliothèques (EN PLUS de tout ce que j'achète en la matière)
5) faire des crêpes le samedi soir. Ce qui ne coûte pas grand-chose et plaît à tout le monde
6) avoir des poules et, en général, trois oeufs par jour qui "poussent" dans le jardin
7) refiler auxdites poules tous les restes alimentaires infréquentables ou épluchures en tous genres
8) utiliser des éponges lavables, un outillage menstruel lavable, des lingettes démaquillantes lavables, des chiffons microfibres (...mais...c'est la base non ? il y a vraiment des gens qui font autrement ?)
9) avoir mis en place un virement automatique de 250e par mois sur mon PEL. Bon, en fait c'était pour le bluff : pour montrer à la banquière que si si, j'ai une bonne capacité d'épargne, si un jour la situation exige que j'emprunte. Elle m'a agacée la fois où elle m'a dit qu'on ne pourrait pas me prêter plus de 65 000e. Sérieux madame, tu connais le prix des apparts à Paris ? je ne vais pas acheter une place de parking non plus !
10) avoir acheté une voiture neuve deux fois de suite (trèèèès anti frugal) mais en les payant comptant à chaque fois. C'est mon concept personnel du crédit inversé : au lieu d'emprunter et de rembourser ton véhicule peu à peu, tu décides de la date à laquelle tu penses devoir changer de véhicule, tu mets chaque mois une somme de côté, et le jour J, tu as de quoi l'acheter sans crédit. Conscience bien plus tranquille. Le seul crédit qui vaille est immobilier !
11) avoir réussi un concours qui me permet de gagner plus en travaillant moins, ce qui fait qu'aujourd'hui je gagne autant qu'avant en travaillant à temps partiel. Autant dire que ça change totalement la vie ! (je pourrais aussi travailler à plein temps et gagner bien plus, mais entre le temps et l'argent, croyez-moi, j'ai choisi mon camp depuis longtemps)
12) réussir à apprécier encore des plaisirs simples. Un noyau de mangue qui germe et que je vais replanter en terre, acheter un plat à emporter... on est loin des restaus de luxe, dont la présence de 3 enfants repousse naturellement (la preuve que c'est économique un enfant). Et puis j'aime parfois des choses plus coûteuses mais la flemme est un bon facteur limitant. Exemple : j'adore les huîtres. Un produit de luxe... mais il n'y en a jamais dans le supermarché où je fais mes courses (ou alors, il faudrait faire la queue au rayon poissonnerie, la flemme) et je n'ai pas le courage d'aller voir ailleurs. 

        Tout ceci est bien anecdotique mais j'ai décidé de replonger dans un objectif "mi-chemin" pour m'encourager sur la voie de l'indépendance financière, et donc de l'investissement immobilier. 

    Objectif actuel : remplir mon PEL (pour rappel, on peut y placer au maximum 61 200e). Chose qui ne s'est jamais produite. J'en suis à mon 3e PEL, les deux précédents ayant été vidés à chaque achat immobilier (maison puis appartements) sans jamais avoir dépassé le tiers de leur jauge, et encore. Evidemment 60 000e ne me permettent toujours pas d'acheter un studio au Panthéon. Mais peuvent me rendre plus crédible auprès de la banque pour un emprunt (ah, tu vois Mme la Conseillère clientèle !). Et puis, qu'on soit clair, au pire, si je change d'avis, cette somme sera aisément recyclable, non ?

      Actuellement je suis au tiers de l'objectif. Ce n'est donc pas pour demain. C'est même un objectif à long terme - mais moins long qu'accumuler 280 000e pour un 17m2 vers la rue Mouffetard... 

        On parlera de frugalité orientée. Ou de dépense disciplinée !

jeudi 6 mai 2021

Printemps tactile

 


     Tous les ans, à l'arrivée du printemps, je guette mon tilleul.

     Il est planté là, dans la cour, visible du salon, visible de la chambre. Côté sud. En novembre, je le vois à regret lâcher une à une ses feuilles roussies. Les semaines passent et le constat est un beau jour sans appel : il est chauve. Inutile de fixer les quelques bribes recroquevillées qui s'accrochent encore, comme un homme plaquerait au travers de son crâne quelques mèches longues pour diminuer l'impression de béance.

    C'est fini. C'est l'hiver.

    Le printemps du calendrier ne coïncide pas avec le mien. Je le célèbre quand les nouvelles feuilles apparaissent. Il s'agit d'aller surveiller les petits bourgeons, les observer croître, repérer ceux qui se déplient, se déploient, et un matin, quand on n'y pensait plus, on regarde l'arbre et constate qu'il a retrouvé sa toison.

    Un réconfort nonpareil.

    J'ai longtemps cru que c'était un plaisir visuel, tout ce vert, toute cette sève suggérée.

    Il m'est apparu hier que non. Il s'agit d'un plaisir tactile. Non que je me frotte les joues sous les branches (encore que, ça mériterait d'être tenté). Mais parce que les branches sombres, hérissées, verticales, se sont métamorphosées en petits bouquets clairs et nuageux. Une tout autre suggestion.

    Hier midi, je rentrais du travail, assez pressée, rapport à l'enfant qu'il fallait récupérer pour lui faire passer un test Covid avant la fermeture du labo, opération délicate car file d'attente souvent infinie (spoiler : file d'attente inexistante, zéro minute d'attente et test négatif - un franc succès). Mon humeur n'était donc pas des plus paisibles. Et tout à coup, la nature m'a cueillie. De chaque côté de la route, des champs, des champs de quoi ? Mystère, mais pour l'instant des champs de longues pousses herbacées, qui dansaient sous le vent et dans les rayons du soleil comme une moquette moelleuse. On avait envie de s'y plonger, de s'y rouler (illusion facilitée par l'habitacle de la voiture, qui empêchait de sentir le pincement des onze degrés sur la peau, un peu léger pour une moquette). 

    Et ça m'est apparu d'un coup. Voilà le réconfort du printemps. Ce n'est pas tant la couleur, mais bien la texture. L'enveloppement par la nature. La douceur suggérée, le tissu d'herbe qui amortit la rudesse du sol. Le coton des feuilles qui adoucit la vision des branches. La vie recommencée, un tapis neuf, un vêtement fluide, quelque chose qui habille nos sens bien plus que par les yeux.

    Et aujourd'hui, il pleut. Nulle envie de mettre un orteil dehors. Tout est détrempé, froid, austère, gris.

    Pourtant, la végétation est là. Un tapis absorbant, qui boira toute cette eau et transformera la grisaille en sève éclatante. 

    Quand les rayons seront de retour, je pourrai bel et bien me rouler dans l'herbe.