vendredi 20 mars 2020

Nouveau matin


     C'est fou comme un rythme se crée rapidement. Quelque chose qui soutienne la journée, un semblant de colonne vertébrale.
     
        Au fond, nous sommes confinés depuis dimanche. A part mon mari qui est allé faire diverses courses nécessaires, nous n'avons plus quitté la maison. En soi, au départ, ce n'est pas une punition. Heureusement, un jardin, heureusement, du soleil, et les cris des enfants provenant des jardins d'en face. Ce sont les copains d'école, on ne peut pas les voir mais on sait que l'enfance continue son petit bout de chemin.

       Cette période va-t-elle confirmer à chacun son essence profonde ? Avoir du temps me paraît toujours aussi précieux, même quand j'en ai trop. Lire aussi. Les cours de danse vont me manquer. Tout comme aller errer à pied dans les rues. Le spectacle des gens s'affairant, innocents. 

     La permanence des répulsions ou de la procrastination, aussi. J'ai enfin assez de temps passé à la maison pour trier chaque tiroir. Pourtant, ce n'est pas une priorité. J'ai même très bien réussi à éviter de le faire jusque-là. Notons qu'un grand tri avec trois enfants sur le dos, c'est pas pareil. 

     Mais il est huit heures. Le moment de laisser se dérouler le programme quotidien :

- se lever (le réveil "officiel", publique, car mon réveil privé sonne à six heures et m'offre un peu de calme avant l'agitation), prendre son temps devant la tasse de café. La remplir une seconde fois. Lire sur la tablette la toute nouvelle biographie d'Agatha Christie sur fond sonore de dessin animé, tandis que ça bavarde, chahute, que le chien veut entrer ou sortir

- quelques préparatifs de rigueur dans la salle de bains, même si beaucoup sont vains, pour me sentir réveillée

- allumer l'ordinateur, préparer sur cahier une partie du travail pendant que les logiciels tardent à s'ouvrir (connexion pourrie, bonjour !)

- vérifier les messages du travail, aller relever les "copies virtuelles" envoyées en retard

- préparer, taper, envoyer mon cours, les devoirs, tout ça

- entendre les enfants poser tous des questions à leur père dans la pièce d'à côté tandis qu'ils font leurs devoirs (alors gérer petite section / CP / CM1, comme classe unique, on dirait pas mais c'est assez sport)

- voir débarquer le petit dernier qui veut jouer à côté de moi et mettre mon casque sur les oreilles pour un semblant de calme

- finir presque à l'heure du déjeuner et me dire : "Oh, on s'en fiche, on mange n'importe quoi ce midi" (ça ne pourra pas durer comme ça quatre semaines, cette affaire…)

- pause déjeuner, télé, repos, sieste, rien (…donc tout : divertissement, sommeil, lecture, réflexion, idées)

- activités avec les enfants, au programme jardinage, jeux, peut-être lecture à haute voix, ah et aujourd'hui on doit cuisiner des bounty. Il faudrait écrire "bounties", au pluriel, mais ça ne collerait plus avec l'étiquette

- en fin d'après-midi, rattraper ce que je n'aurai pas eu le temps de faire : marcher (session rattrapage sur le tapis roulant), un peu de ménage, lire encore un peu plus, cuisiner… Ce soir, c'est hamburger. A condition que je fasse assez tôt la pâte des petits pains pour qu'elle puisse lever (notons l'allitération en P, sais pas trop ce qu'elle exprime, mais un petit pain n'a pas grand-chose de menaçant, au moins).

- le soir coucher tout le monde entre 20h45 et 21h30, en ayant pris soin de ne PAS regarder les infos qui font flipper mon fils de six ans, et nous aussi un peu parfois. Sauf les images des villes vides qui ont quelque chose d'hypnotique et de beau. A Tokyo des cerfs sont entrés dans la ville pour brouter les plates-bandes. A Venise, l'eau des canaux s'est tellement éclaircie que les poissons sont de retour. La nature est d'une résilience incroyable.

     Et dans la province du Wuhan, la pollution de l'air a baissé à tel point que le coronavirus, par ce biais, aura sauvé plus de vies qu'il n'en a prises. 
     Ce qui signifie, non pas "virus béni" (surtout pas), mais que nous tuons véritablement des êtres humains par notre surconsommation. 
     Il y aura des leçons à tirer.
     Mais après tout ça, j'aurai quand même besoin de changer d'ordinateur.
     Car je suis une Occidentale typique, quoi que j'essaie de me raconter. Et même si j'ai le même depuis sept ans, qu'il est obsolète par bien des aspects, quand ce ne sera pas ça je changerai autre chose...

     "Z'ai manzé la briosse et pis du pain d'mie", me dit mon fils de trois ans qui fait irruption dans la chambre.
     Moi, de toute façon, tant que j'ai de quoi nourrir mes enfants...


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