jeudi 2 juin 2022

En eaux dormantes

      Je viens d'être réveillée en sursaut par le bourdonnement du téléphone.

     Un SMS. 

    Il est quinze heures et je dormais. La traditionnelle sieste de début d'après-midi quand j'ai du temps et un petit déficit de sommeil. D'habitude, je ne travaille pas le jeudi. Mais ce matin, trois heures de répétition pour l'atelier théâtre (verdict : ne venez pas, c'est une catastrophe et la représentation est dans deux semaines). Déjeuner seule en regardant un reportage diffusé par Arte il y a peu : L'histoire oubliée des femmes au foyer. Des images d'archive, des extraits de journaux intimes lus en voix off. Très intéressant. Toutes ces femmes dont on disait qu'elles ne faisaient rien, qu'elles s'occupaient de leur mari, de leurs enfants, qu'elles tenaient la maison. Qui s'occupait d'elles ? qui les tenait, elles ? Cette époque m'aurait rendue folle je crois. Aujourd'hui encore je m'exhorte tous les jours à faire un peu de ménage, allez, juste dix minutes ? Et jour après jour je ne le fais pas. Vous seriez surpris de constater à quel point une maison qu'on ne nettoie pas reste vaguement fréquentable. Je me crispe dès que j'entends quelqu'un (toujours une femme) parler de "son ménage", "sa vaisselle". On a réussi à faire passer les corvées pour des privilèges. Déjà, toute petite, je ne croyais pas au Père Noël. Ce doit être pour ça que je refuse le ménage de tout mon corps. Alors que le thème me passionne : je lis tout ce qui se rapporte au sujet.

     Et puis, donc, je suis montée. Rituel sans surprise : lire un peu, sentir les paupières s'alourdir, s'endormir.

       Mais d'un sommeil incomplet. Celui où le cerveau raisonne encore. Où l'on se dit : tiens, là je me réveille, non attends je bouge pas, je vais peut-être replonger...

        Et on replonge.

        Parfois, quand mon corps est épuisé (ce qui est rare, je ne dois pas être du genre à beaucoup me fatiguer), je m'allonge avec une sensation de sédimentation. Comme si dans les membres étendus, des particules bourdonnaient encore, puis ralentissaient, pour se déposer, peu à peu, tout au fond, comme du limon tapissant la rivière. Parfois, même, je visualise les sédiments descendre, lentement, en couche nuageuse, puis plus compacte, jusqu'à atteindre le plus lourd, le plus sombre, le plus froid de l'eau. Et je m'endors. 

        Le réveil m'a arrachée de la rivière comme une bouée vous dire des profondeurs et ramène vos poumons à l'air libre.

        Il se passe tant quand nous dormons. Les scientifiques n'ont pas tout élucidé des nécessités du sommeil. Seulement, tous les animaux connus dorment. Comment douter du bienfait ?