jeudi 28 janvier 2021

L'autre

    La voilà, la vraie richesse, la vraie valeur, la seule au monde qui fasse sens.

    Quelque chose qui ne coûte rien mais offre tout.
    Quelque chose que nous pouvons tous décréter prioritaire dans nos vies.
    La seule chose qui donne sens à une existence. Qui vous fasse traverser les tourmentes avec la garantie qu'on vous réceptionnera à l'autre bout, comme des pompiers en cercle autour d'une toile tendue encouragent l'habitant de l'immeuble enflammé à sauter.

    La richesse, c'est vous. C'est toi. C'est cette personne qui compte pour toi, pour qui tu comptes, et qui fait en sorte que tu le saches.

    Des magnats du pétrole échangeraient des palais de marbre contre un mot d'amour de leur enfant.
    Des Procureurs de la République enfreindraient des lois pour venir en aide à qui ils aiment.
    Des âmes désespérées reprendraient espoir pour trois mots sur un écran, "Comment tu vas?", envoyés comme ça, pour savoir, par souci, par attention.

    J'aime bien recevoir des colis dans ma boîte aux lettres. Le côté cadeau de Noël, le paquet à ouvrir, l'objet à découvrir. J'ai quatre ans dans ma tête. 

    Mais en vérité, des cadeaux, des vrais, j'en reçois tous les jours. 
    C'est une série de SMS, spontanés parce que hop, une pensée a traversé l'esprit de quelqu'un qui m'en fait part, ou pour poser une question. Ou un SMS en réponse à un des miens. 
    C'est une série de mails, où chacun donne une miette de soi et on fabrique un joli gâteau aux parfums mélangés.
    C'est un paquet dans ma boîte à lettres, envoyé par une amie, qui y a glissé des produits locaux, le savon fabriqué par un ami d'ami, une cuillère en bois faite par un artisan anglophone installé près de chez elle, et "des carambars pour caler le colis" et faire plaisir aux enfants.
    C'est un mot glissé entre deux portes, "Comment ça va, toi ?" "Tiens, j'ai repensé à ce qu'on se disait l'autre jour", "Faudrait qu'on discute plus souvent".
    
    C'est le partage. Fait de mots. De pensées envoyées vers. De regards chargés de. C'est se montrer mutuellement son humanité et ne pas chercher à cacher les failles. L'humanité est faite de failles. La faille, cet espace qui permet de jeter des ponts, de traverser des rives.

    Alors, c'est simple, ça ne coûte rien.
    Aujourd'hui, je dirai "merci" plutôt trop que pas assez. Je demanderai à quelqu'un comment il va. Je croiserai un regard et m'y plongerai sereinement au lieu de vite passer à autre chose. Je sourirai même derrière le masque parce que le sourire traverse tous les masques et les masques de sourire ne dupent personne. J'écouterai mon enfant quand il me parlera de son terrriiiiiible bobo du jour, et je ne me moquerai pas quand il me dira qu'il n'a pas dormi de la nuit, même si je sais que c'est impossible (...bon... je me suis un peu moquée quand même...petit bonhomme, selon toi tu es resté éveillé de 1h à 7h du mat et tu ne serais pas venu t'en plaindre pendant tout ce temps? je te crois pas...). 
    
    Ajoutez toutes les barrières du monde, les distances, désinfectons-nous comme si nous étions tous un tas de misérables virus, rien ne nous ôtera cela : les mots, les regards, et le pouvoir de les partager.

lundi 11 janvier 2021

Des jours comme ça

     Il y a des jours comme ça où tu as mal dormi.

    Le cerveau en ébullition, trop chaud, comment on peut résoudre un problème de cette taille-là? trop froid, mais fais quelque chose, j'essaie pourtant, ça donne quoi ? je sais pas. Tu t'endors, te réveilles à moitié, dix fois, vingt fois, la conscience à la ligne de flottaison du sommeil, qui remonte comme une bouée.

    Il y a des jours où tu te dis que "Frugale", c'était bien mignon comme programme politique mais tu n'as pas envie de boxer la catégorie mignon. 

    Oh que non. 

    Tu es prête à en découdre.

    Des jours où tu te moques de ceux qui se présentent en disant : "Moi, je trouve que la guerre c'est mal et j'aime pas l'injustice". Sans blague.

    Et ceux où tu sens qu'en fait, l'injustice pourrait te pousser à la guerre.

    Il y a des jours où aller bosser tient du western.

    Heureusement qu'ils sont nombreux dans le camp des gentils et pas tellement dans le camp des méchants (un seul - mais un gros).

     Heureusement qu'il y a les nuits.

     A condition de dormir. 

    Ce que théoriquement, je suis en train de faire, là, tout de suite, non ? Ah non. Semblerait que non. 

    Alors on passe au somnifère : cinq pages d'un livre, dix pages d'un autre. De la beauté sensorielle et de l'humour anglais. Atlas botanique parfumé, de Jean-Claude Elléna, et Un tout petit monde, de David Lodge.

    Il y a des jours où tu es presque contente que ça aille mal, parce que le chemin est ouvert : on est en route pour que ça aille mieux. L'heure la plus sombre juste avant le lever du soleil ? sais pas. La plus froide, c'est certain.

    Tu as fait tes dix mille pas. Tes heures de cours. Dit bonne nuit aux enfants. 

    Tu peux dormir.

    Ou pas.

mardi 5 janvier 2021

Malle dissimulée


    Elle attendait près du lit, patiemment, cette BD. Offerte à la Toussaint par une amie de vingt ans, une amie qui était déjà là quand je bouclais mon mémoire de maîtrise sur Gide, Kafka, Anaïs Nin.
    Je ne l'ai pas lue tout de suite. Ce défi lecture à boucler d'abord - soixante titres, soit la moitié de ce que j'aurai lu en 2020. L'envie de choisir le bon moment.
    Et elle aura été ma première lecture de 2021. Force expressive, trait de crayon avec ce jeu de noir et blanc tout en couleur. Et puis, certainement, pour ceux qui ne savent pas, la sidération. Comment ? Elle a vécu tout ça ? De cette façon-là ? Mais qui était-elle, une femme libre, une artiste, une dépravée, une sainte ? Un peu de tout ça (un peu moins la dernière). Et elle a vécu bien plus que ça encore. On parle ici d'une femme qui, sur le tard, aura deux maris aux Etats-Unis, un sur la côte ouest, un sur la côte est. La polygamie n'est illégale que si quelqu'un la remarque.
    Et le journal. Toujours. Fil rouge, ligne de vie.
    Peut-on lire Anaïs Nin sans envisager d'écrire une page de journal ? 

    J'ai rouvert la malle. Celle qui contient les cahiers, les plus vieux, qui ont passé vingt-cinq ans d'âge, les plus récents terminés il y a quelques jours, et même ce journal fictif, écrit par mes amies, en hommage, chacune une section de ma vie, pour mes trente ans. C'est dire si elles me connaissent. 
    Les amies sont toujours là.
    Les pages aussi.
    Je ne cesserai pas d'en ajouter. 
    Un jour, la malle sera trop petite. Je trouverai une solution. Je serai créative.
    Pour l'instant, elle sert surtout d'étagère. Plantes, réveil, vase. Innocent autel pour décourager les petites mains curieuses.
    L'autre jour mon plus petit garçon m'a demandé : "Mais y a quoi, en fait dedans ? Z'ai envie d'ouvrir !". Mais non, enfin. Ce n'était pas possible, il voyait bien : trop d'objets fragiles sur le dessus !
    Il a joué un instant avec la serrure et est parti bâtir des Legos.


 

dimanche 3 janvier 2021

Année vache

 


On aurait apprécié d'être prévenu en janvier 2020.
Attention, année vache.
On s'est souhaité une excellente année, le travail, les amours et surtout la santé hein, surtout la santé !

Trois mois plus tard on battait les records d'hospitalisation, de décès, de chômage, de déprime. Les célibataires doivent avoir l'impression de risquer leur vie à chaque rencontre. On n'a même pas fini la 2e vague qu'on nous confirme la 3e.

Alors je ne vous souhaiterai pas une bonne année. 

Rappelons-nous juste que, pour l'instant, nous sommes vivants. Tout reste possible. 
Et on va avancer avec ça.