vendredi 3 novembre 2023

Commencer

     Il y a quelque temps, à la bibliothèque, un livre m'est tombé dessus. 

    Littéralement.

    Je voulais Défense du secret, d'Anne Dufourmantelle. Un petit volume s'y était collé, couverture plastique contre couverture plastique : Commencer. Le titre m'a parlé. Commencer est toujours une étape particulière. On se lance, on s'engage. On hésite. On franchit le pas; ou pas.

     L'ouvrage est de Patrick Vauday : Commencer, Variations sur l'idée de commencement

   La bonne blague, c'est que je ne l'ai jamais commencé. Pour tout un tas de raisons qu'il développe sûrement avec brio dans son petit ouvrage et que je n'ai donc pas lues. Je l'ai rapporté rigoureusement intact, presque au sens propre, à la bibliothèque (j'avais quand même touché sa couverture - un début).

     J'ai été surtout dissuadée par un ouvrage classé philo, à un moment où je n'avais pas trop envie de réfléchir; c'est-à-dire, pas plus que je ne fais déjà en général, qui est assez pour ma cervelle.

      Novembre est entamé, et avec lui le NaNoWriMo. J'y ai pensé la semaine dernière : tiens, ça approchait. Est-ce que j'allais tenter de tenter ? pas envie. Pas envie d'écrire. Et puis, pas d'idée, enfin si, une mais pas envie de l'écrire en ce moment. D'un autre côté, depuis quand l'absence d'idée me freinait-elle pour écrire ? No plot, no problem, dit Chris Baty, le créateur du défi. Aucune idée d'histoire ? on s'en fiche.

      Evidemment, trois secondes plus tard, j'avais un début d'idée.

    Evidemment, le lendemain, j'avais décidé que j'écrirais. Mais tranquille, quoi. Sans pression.

    Pas comme si quelqu'un attendait mon texte, de toute façon.

    Alors, ça y est. Nous sommes au jour 3. J'en suis à commencer. A découvrir qui est mon personnage. Mercredi, rentrée tard, j'ai juste ouvert un fichier texte, noté le titre (qui m'était tombé dessus aussi sûrement que le livre à la bibliothèque), écrit quelques lignes. Hier, j'ai découvert le prénom de mon personnage. Aujourd'hui, quelques détails de plus. Je sais vaguement ce qui va lui arriver, mais alors très vaguement. A ce stade ça tiendrait dans un tweet. Pas grave. Elle me dira elle-même. Ce n'est pas mon histoire après tout, c'est la sienne.

    Et ça donnera ce que ça donnera. 

    A défaut d'autre chose, j'ai commencé.

jeudi 11 mai 2023

Rituels

La papeterie Tsubaki par Ogawa


          Aujourd'hui nous sommes jeudi. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi... c'est liberté. Une journée seule à la maison. Le temps s'écoule en solitude et je le transforme en ce que je veux.

          Cet hiver, le jeudi a souvent été jour d'écriture. On ne dirait pas comme ça mais la vie n'est pas une morne plaine. Depuis le dernier billet de septembre, un roman de plus. Un qui-ne-sera-pas-publié-peut-être mais on écrit quand même. Pas de la Littérature avec un grand L mais de la littérature avec de toutes petites ailes.

             Mais ce matin j'ai décidé de lire. Chose que je fais tous les jours sans faute. Lundi, je me suis réveillée brutalement, il était au moins 14h avant que mes yeux se posent sur une page. Horreur. Aujourd'hui je peux lire à volonté et j'ai décidé de finir La Papeterie Tsubaki. 400 pages, j'avais lu 170, facile (c'est écrit gros).

                Je me suis demandé ce qui me plaisait dans ce livre. Wow, trop dur, à moi qui suis attirée par la culture japonaise (à l'instant où je tape ces mots, sur la table de la cuisine, j'ai sous les yeux un livre de cuisine japonaise parce que j'ai décidé de me faire des nouilles soba dans un bouillon miso / soja ce midi). Mais il n'y a pas vraiment d'intrigue. C'est une narration du quotidien. De menus faits. Beaucoup sont symboliques.


              Et puis l'évidence m'est apparue. Les rituels. L'histoire est rythmée par différents rites accomplis par la narratrice, certains conventionnels dans la culture japonaise, d'autres originaux et réjouissants (souffler ses mauvaises ondes sur une coupelle en porcelaine et les fracasser contre un mur pour le nouvel an ? j'adoooore !). 

                Je crois aux rites. Je crois. Je ne crois pas en un dieu, le concept m'énerve, il faudrait que je me bricole ma propre religion. Je crois en des pulsions de vie. En l'art. En des ondes, des élans, des pouvoirs, visibles et invisibles. Je ne sais pas trop en quoi je crois. Peu importe, je sens que c'est là. Que ça existe.

                 Les rituels sont parfois décriés comme vides de sens, comme des superstitions. Laissez dire. Faites ceux qui vous parlent. Qui vous happent. Inventez-vous en. Glissez-y le sens que vous voudrez. Personne ne peut fouiller mon âme.

                 Hier, quelqu'un que je connais m'a annoncé la mort d'un de ses proches. J'ai allumé une bougie. A présent, quand quelqu'un m'annonce une mort, même lointaine, je demande le prénom de la personne et j'allume une bougie. Un rationaliste dira que ça ne sert à rien. Et peut-être. Je m'en fiche. Je le fais. Je le dis à celui qui souffre. Et à chaque fois, la même réponse : un merci, une émotion. Je ne sais pas qui on atteint en faisant ça. Mais au moins, un peu, on partage la souffrance de l'autre. Au moins, un peu, on pense au mort, à la mort. Au moins, un peu, on maintient un fil de vie, un fil brûlant, une flamme brûlée.

                    Il y a quelques semaines, je suis allée dans un parc accomplir un petit rituel minuscule. J'avais fait de même dix ans avant. Comme on jette une bouteille à la mer. Toute la voie s'était éclairée : pour moi, pour mes amies, un miracle, tous les obstacles s'étaient envolés. Grâce à ça ? Je ne sais pas, je ne veux pas savoir, ce n'est pas ce qui compte. Laissons la magie faire sa petite cuisine sans voler la recette. Au moins, à un moment, toutes les fibres d'une personne se dirigent en faisceau vers une pensée, une volonté. Nier le rituel, c'est nier le pouvoir d'une personne entièrement concentrée vers un but. Une loupe touchée par le soleil peut embraser une forêt. De quoi ne sommes-nous pas capables ?

              J'ai décidé d'accrocher une plume dans mes cheveux. Pour diverses raisons, dont je ne me suis expliquée d'aucune. Je ne suis même pas sûre de les connaître toutes moi-même. Mais j'en sais certaines, et la plume m'accompagne. Beaucoup ne la voient pas, d'autres ont l'air de la trouver bizarre, d'autres me disent qu'elle est jolie. J'aime bien qu'on m'en parle parce qu'on la sort de l'invisible. Mais ça ne me dérange pas qu'on ne la voie pas. Qu'on l'oublie, encore moins. C'est qu'elle se fond en moi. Qu'on imagine en ce geste inhabituel, fixer une plume dans ses cheveux, un effet de coquetterie, très bien. Qu'on me soupçonne de légèreté. Après tout une plume est légère. Je ne m'encombrerais ni de laideur, ni de lourdeur. 

              Tant que le rituel est incompris, dissimulé, il n'appartient qu'à moi. Il n'appartiendra jamais qu'à moi. Il est là comme un point d'accroche, un soutien. Il vient renforcer quelque chose en moi qui en a besoin. Il manifeste aussi. En mode mineur. Et je m'engage envers ma propre volonté, mon propre espoir. Souvent, le rituel est solitaire. Il peut se partager si on y investit, ensemble, le même élan. Il sera beau, aussi. 

             On peut en faire un geste automatique. Se pencher par réflexe devant un bâtiment religieux. Mais on peut l'inventer. Créer notre sacré.

                 Et s'il est invisible aux autres, nous, nous le voyons.