Photo collée dans le cahier des enfants. Je peux en prendre mille avec
mon portable mais sur celle-ci je sens le front brûlant de fièvre de mon fils
mon portable mais sur celle-ci je sens le front brûlant de fièvre de mon fils
35e jour de confinement.
Le
pouvoir de l'instant, est-ce l'instantané ? La spontanéité ?
J'ai
voulu, pour mon anniversaire, un appareil photo à l'ancienne. Un de
ces nouveaux appareils façon Polaroïd qui sont furieusement
tendance – mais ce n'était pas là ce qui m'inspirait en eux.
On
peut avoir plusieurs conceptions de la photographie. L'image idéale,
l'image œuvre d'art, construite, modifiée, altérée. L'image du
beau.
Ce
n'est pas du tout ce qui m'intéresse.
Bien
sûr que certaines photos sont belles. Mais elles le sont d'autant
plus quand l'objectif a capté l'instant. Quand toutes les
trajectoires se sont rencontrées harmonieusement en un point et ont
composé d'elles-mêmes l'image devant l'objectif. Quand la seule
intervention du photographe est d'appuyer sur la touche de l'appareil
au moment opportun.
Est-il
artiste ? À peine. Uniquement quand il fait preuve de ce talent
à répétition. Ce n'est certes pas mon cas. Mais j'aime la magie de
l'instant, emprisonné par l'image comme un papillon dans un filet,
encore tout palpitant.
J'avais
mis une pellicule noir et blanc dans le boîtier. Pris l'autre jour
une photo du petit dernier endormi sur le canapé, au risque de le
réveiller. Peine perdue : flash, bruit du mécanisme, rien ne
l'a tiré de sa sieste – vu l'heure, ç'aurait été souhaitable.
L'image n'était pas très bien cadrée. Il suçait son pouce, on ne
voyait pas si bien le bas de son visage. J'ai laissé la photo sur le
porte-partition du clavier, le temps qu'elle apparaisse, et puis
encore, et puis deux jours. Je me suis habituée à elle. Elle était
imparfaite – parfaitement imparfaite. C'était vraiment mon fils.
Sa petite tête, son pouce goulûment enfourné. Elle était tout à
fait le reflet de cet instant.
Ce
matin, j'ai eu envie de réitérer. Une photo des trois garçons,
chien sur les genoux.
Puis,
une photo de chacun d'eux, pour la leur donner. L'aîné, assis en
tailleurs, penché sur son chiot adoré, qui le caresse. Le cadet,
tête en gros plan pressée contre celle de son animal, qui pour une
fois pose de profil avec un tombé élégant de l'oreille. Le
benjamin qui a voulu poser seul et a tiré sur sa bouche avec
conviction : une belle grimace au-dessus du pyjama Batman.
Ce
sont eux. Vraiment eux. Juste en cet instant.
La
photographie instantanée est modeste. Elle se laisse guider par le
moment, par l'accident, par le hasard, la maladresse. La lumière
gouverne. Elle apparaît comme par magie sur le papier, les enfants
ni moi ne nous lassons d'observer les premiers contours se dessiner,
puis s'affirmer, sur ce film totalement blanc et impassible quand il
s'extrait bruyamment du boîtier. L'instantané ne capte qu'un tout
petit moment, une bribe de chronologie, un petit quelque chose qu'on
a vu exister ou qu'on ne percevait même pas avant de le voir
s'imprimer. C'est tout petit mais c'est juste.
Juste
l'instant. Instant juste.
J'aime
cette impression d'offrir le présent. J'ai donné aux enfants leur
photo. Ce sera leur marque-page, ou leur souvenir, ou ce qu'il leur
plaira d'en faire. Une pause qu'on a faite sur notre petit chemin
ordinaire, cette pause qu'on a parfois pour se dire : « Regarde,
ce qu'on est en train de vivre ».
La
prise de conscience.
C'est
trop de vouloir une grande vie.
Commençons
par plus petit.
Nos
beaux instants.
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