vendredi 28 août 2020

Les grilles de l'Elysée

     Un samedi à Paris, en famille. Les billets de train attendaient depuis longtemps sous la trappe du bureau, au point qu'il a fallu les chercher frénétiquement la veille au soir. Le pass pour le musée était imprimé, les cartes sorties, le trajet étudié. J'ai déterré des tickets de métro tarif réduit pour les enfants, datant de notre dernière escapade à cinq il y a un an et demi.

        Il va sans dire que l'expo Turner à Jacquemart André les a peu passionnés. Doux euphémisme. Entre celui qui s'abîmait dans la contemplation de la moquette et celui qui se tortillait sur place en ronchonnant, on a mis de l'ambiance dans les salles (bon...pas trop quand même. Ils se sont tenus potablement. Mais la moyenne d'âge a baissé d'un coup grâce à leur présence, et c'est pas si mal). 

        Le pique-nique au parc Monceau a remporté plus de suffrages. Désolée Turner, ton art ne tient pas devant le croustillant d'une chips. (une chip ? de toute façon qui n'en mange qu'une ?)

        Il s'agissait de marcher toute la journée, direction Montparnasse, en se ménageant diverses haltes. Les Tuileries, les macarons chez Pierre Hermé...

            Sur le parcours, on pouvait caser l'Elysée. Passer devant. Même si "on ne verra pas grand-chose", dixit l'homme. Pas grave. Nous y sommes allés. Passer devant le ministère de l'Intérieur, puis le palais. Voir les drapeaux des ambassades. Faire halte devant les grilles, quelques instants, et expliquer aux enfants que c'est de là que le président du pays fait son discours, à la télé, on voit les images des fois, comme le jour de l'An, comme pour le coronavirus. Et d'ailleurs, quel que soit le nom du président.

            En apparence, c'est du tourisme anodin. Mais si c'était plus important que ça ? Montrer que le lieu qu'on voit à la télé, parfois, existe en vrai, là, le long d'un faubourg, on en est témoin. Que le pouvoir est juste ici, dans cet endroit pas si énorme, exercé par un être humain pas si différent de nous. Désacraliser la politique (au cas où elle puisse avoir quoi que ce soit de sacré chez quelqu'un...). Ce ne sont que des histoires d'hommes entre eux, mais qui rejaillissent sur des millions d'hommes par la suite. N'est-on pas plus lucide de le savoir ? Quand le pouvoir nous paraît proche, ne sentons-nous pas mieux le nôtre ? Croiser le maire du village et se dire qu'on peut dialoguer, expliquer, demander. Alors, passer devant l'Elysée, plonger le regard à travers les grilles et se dire qu'on possède un soixante millionième de droit sur ce lieu de pouvoir. Le sentir. Le savoir. Se sentir plus proche du pouvoir, physiquement, pour ne pas s'en détourner par la suite. Parce que les gestes comptent, exprimer son avis compte, croire qu'on peut faire changer les choses est la seule façon de les faire changer.


            Au prochain discours, on leur dira : "vous vous souvenez ? Cette fois où il y avait la fête foraine aux Tuileries ? on était passé devant l'Elysée !". Et ce ne sera pas un lieu mystérieux, intimidant, froid pour eux. Mais ce-palais-devant-lequel-on-était-passé-avec-tous-les-policiers-et-leurs-super-pistolets.

            On construit nos petits citoyens. Les yeux ouverts, si possible.

            

 

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