vendredi 1 juillet 2022

Des comptes à rendre

 


     Je ne pense pas en avoir jamais parlé ici, ou rarement, mais ce blog est secret. Non parce qu'il contiendrait quoi que ce soit de sulfureux. On est à peu près, sur l'échelle de la dissidence, au stade du Bisounours. Il est secret parce qu'il n'a pas de raison de ne pas l'être. 

     Quand j'ai eu envie d'écrire, sans censure, sans me demander ce que les gens en penseraient, le choix m'a paru évident : écris pour les inconnus. C'est la formule idéale, la seule vraie peut-être ? Celle où on ne gesticule pas pour provoquer tel sentiment chez telle personne. Celle où on dit, parce qu'on a envie de dire, et c'est tout. Entre-temps, j'ai donné l'adresse du lien à trois, peut-être quatre personnes de mon entourage. Qui je pense n'y viennent pas, sauf une (coucou toi, A. :) ). Et c'est très bien comme ça.

     Pour être tout à fait honnête je pense être lue par deux personnes un quart sur cette planète. Bon ça ferait trois si mon chat savait lire. Mais ça ne me dérange pas tant que ça. Enfin, oui, d'accord, j'aimerais que derrière l'écran des inconnus trouvent une bribe à glaner dans un texte que j'aurais proposé, mais je veux dire : ce n'est pas si grave.

     Dès le départ j'ai fait le choix de ne pas en parler à mes proches. Ni mes amies (pourtant, que je les aime !), ni mes enfants (d'ailleurs trop jeunes pour être concernés, et puis je ne suis pas que leur mère, et ici je suis juste moi), ni mon conjoint. Surtout pas lui. Car j'aurais eu le sentiment qu'il avait accès à une partie de ma cervelle. Je me serais censurée, je le sais. Or moi je garde ma cervelle pour moi. Je ne file pas les clés du camion.  Perso, égoïste ? m'en fous. C'est comme ça et ça le restera.

      Il m'a reproché récemment de ne pas assez partager avec lui, de ne pas lui parler de ce que j'écris par exemple. Sur le coup j'ai failli culpabiliser, un peu. 

    Parce que c'est vrai. Parce que je ne partage pas et ne montre pas ce que j'écris. 

    Et à présent, à froid, ça me met plutôt en colère. Mais DE QUEL DROIT quelqu'un pourrait exiger que je partage ? Je n'ai à me justifier auprès de personne. J'écris ce que je veux, bon sang, s'il y a bien une parole libre c'est dans l'écriture ! Je ne montre jamais ce que j'écris avant que le fruit soit tombé de l'arbre, avant que le texte soit prêt à se détacher de moi. 

     Pourquoi, en fait ?

   Je pense savoir. Je pense que ce que j'écris est intrinsèquement moi. Par conséquent, personne n'a droit de regard là-dessus et je n'autorise personne à le juger. Cela ne veut pas dire que mon entourage soit malveillant, et lui en particulier en dirait peut-être du bien. Mais je m'en fous. Je ne veux pas entendre ni du bien ni du mal. Je veux laisser résonner mes mots jusqu'à ce qu'ils soient exactement ce que j'avais à dire. Ensuite, quand ils se sont déposés à leur place, je peux les lâcher. 

    Si je veux. 

    Et quand je veux. 

    Et à qui je veux.

     La création, la réflexion, l'élaboration artisanale voire artistique (ouh là, un trop gros mot pour mes épaules, je vais rester dans l'artisanat) ne sont pas un dû. Ce n'est pas mon job. C'est mon choix. Si certains en veulent, qu'ils en fassent. 

     Un texte est quelque chose qu'on offre à quelqu'un qui n'en a pas besoin et qui, à sa grande surprise, y trouve un petit quelque chose.

     C'est la gratuité suprême. 

     La quintessence de la liberté.

    On ne me le prendra pas. Et on ne m'y prendra plus, à culpabiliser. Je ne vais pas m'excuser de ce que je suis, car je suis, du verbe être, pas du verbe suivre.

    (et hop, un billet nombriliste, un !)

      

1 commentaire:

  1. Merci.
    Quoi de plus intime que l'écriture ?
    Annie Ernaux explique qu'elle se sent dénudée, à nue, vulnérable, bien plus en écriture que lorsqu'elle fait l'amour. Que c'est l'écriture, la nudité totale. Que c'est à cet endroit, qu'elle pourrait éprouver la plus grande honte si des yeux la lisaient avant qu'elle n'en soit prête. Et que même en se sentant prête, en offrant ses textes, c'est très dur pour elle. La gêne, voire la honte, la gagne quand elle livre un texte.
    C'est vraiment ça, écrire, je crois : se livrer.
    Se livrer de l'intérieur.
    Se donner. Complètement.
    Les personnes se vexant de ne pas y avoir accès n'ont pas compris ce que c'était, l'écriture.
    Comme si écrire, c'était passer un bon moment avec le lecteur/ la lectrice. Comme on partage un repas, une marche, une bière. Mais non. Je crois que je n'arrive pas à dire "Je te partage mon texte". Non en fait. Je te le donne, et tu m'y trouveras toute entière.

    On pourrait en écrire des tas, sur ce sujet-là. Je pense à Constance Debré expliquant à quel point écrire a pu être une rupture, pour elle. Rupture familiale et amicale, car dans ses livres, elle se livre, justement. Et ça dérange. Et ça heurte. Mais c'est elle, entièrement.

    Merci.

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