jeudi 28 avril 2022

Sur du bois mort


Non, ceci n'est pas un albizia. Patience, vous saurez tout
(oui c'est mal de vous inciter à la patience, qualité dont je suis fort peu pourvue).



          Mon albizia est mon nouveau test de patience.

          Autant vous dire que j'échoue à chaque fois.

      J'ai dû le repérer dans une jardinerie à l'automne 2020. Un feuillage sombre, Summer chocolate, qui me plaisait encore plus avec le nom. Presque quarante euros pour une tige qui m'arrivait au genou, c'était abusif. Je ne l'ai pas pris.

        Et puis, la semaine suivante, ou le mois suivant, j'ai foncé le chercher en priant pour que personne n'ait annexé MON albizia.

         Personne n'avait.

       Je l'ai embarqué, ne le trouvant plus si cher puisque je le voulais vraiment. On l'a planté face aux fenêtres : s'il poussait bien, autant profiter de sa vue, c'est un arbre si gracieux.

        Bon. On ne va pas se mentir, en deux ans, s'il a pris quelques centimètres, c'est bien tout. Il est planté non loin d'un magnolia qui a à peine épaissi en une décennie, conclusion : le sol n'est pas terrible. Tant pis. On fait avec ses forces et ses faiblesses.

        Il y a un an, à son premier printemps, je me suis même résignée au pire : décidément ce n'était qu'un bout de bâton desséché, quel dommage, trop fragile peut-être ? Tout le jardin explosait de bourgeons et il ressemblait à un sarment oublié.

         Et puis, tardivement, le miracle s'est produit : un point de vert ! un petit renflement, là, et là ! Le mois de mai était déjà bien avancé quand ses branches se sont déployées.

         Enfin, branches - tiges, dirons-nous. On reste sur du petit format.

      J'ai admiré ses feuillages qui poussent vert tendre et se colorent de pourpre au soleil, jusqu'à obtenir leur couleur définitive.

         Cette année, comme toujours, j'ai guetté les bourgeons sur mon tilleul. Sachez-le, quand le tilleul est en feuilles, on peut déclarer la saison de printemps ouverte. 

         Mais toujours rien du côté de l'albizia. Un vrai bout de bois. Est-ce que le gel... mais il a fait à peine froid cet hiver... et puis...

          Et puis je me suis souvenue m'être fait la même remarque l'année d'avant. Un arbre tardif, voilà tout. Des bienfaits de l'expérience...

        Les jours suivants, en y regardant de plus près, il me semblait bien voir de minuscules excroissances aux extrémités. 

           Allez, patiente, me suis-je dit. Un albizia, ça se mérite.

         Vendredi, une amie est venue à la maison. Nous avons bavardé, fait le tour du jardin tandis que les enfants (cinq garçons, entre quatre et onze ans) chahutaient dans tous les coins. Nous profitions du soleil, regardions les feuilles. 

            Quand tout à coup : le drame.

           Décapité. Mon albizia avait perdu sa tige principale. LA tige. Celle qui promettait sa forme en ombrelle. 

          Sauvagement tranchée. Par ses enfants ou par les miens, on s'en fiche, par un objet lancé au hasard certainement, ou une bousculade, ou... cela n'y changeait rien. 

             Souffrance. Tristesse. Et dans les trois secondes qui ont suivi, résignation. Après tout on verrait bien. Il restait les autres tiges. Et mon amie a dit : 

          - En tout cas, il est bien vivant, regarde, c'est du bois vert !

          Elle avait raison. La tige coupée est d'un blanc-vert tendre. Donc, en gestation. Donc, patience. Il ne sortira pas de feuilles à cet endroit-là cette année. Sur les tiges annexes, sûrement. L'an prochain, peut-être. J'attendrai encore plus longtemps. Ou bien il n'y poussera plus rien et l'arbre sera le seul modèle décapité du secteur. Tant pis. Il végète ? Ben ça tombe bien, c'est un végétal.

              Peut-être que la vitesse de croisière de l'être humain devrait se rapprocher de celle des végétaux. Une saison après l'autre. Lentement. Laisser monter la sève. Laisser le soleil baigner les feuilles. Ra-len-tir. Ne s'agiter que sous le vent. Se laisser porter.

             Et surtout, surtout, ne pas renoncer trop vite. Il me semble avoir lu qu'une plante peut se reconstituer même s'il n'en reste plus que dix pour cent (source : inconnue, oubliée et à vérifier). Ne les enterrons pas trop vite. Observons le miracle du temps, des saisons.

        Alors ce matin, dans le jardin, j'ai pris la photo ci-dessus. Les branches de pommier ressemblent à s'y méprendre à du bois mort. C'est gris, sec, couvert de lichen. Et pourtant, elles fleurissent. Pas beaucoup, pas partout, mais quand même.

             Peut-être que la mort, si on attend assez longtemps, ça devient la vie.

             A défaut d'autre chose, je surveille mon albizia. Il doit en avoir la sève toute réchauffée.

                

1 commentaire:

  1. "Laisser monter la sève." ....magnifique.
    Je crois que oui.
    Quand tu écris sur la mort, c'est déjà du vivant.
    Je t'aime fort.

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