vendredi 5 juillet 2019

Un été de présence






 
      Hier soir ont commencé officiellement mes grandes vacances.
     Avec un jour d'avance.
     J'aurais dû être au travail ce matin. Réunions et concertations toute la journée. La canicule a mis la pagaille dans nos derniers plannings : déplacement du brevet, réunions anticipées les jours de grande chaleur (et se concerter par 38 degrés reste peu productif, croyez-moi). En définitive j'ai réussi à corriger mes 34 copies de brevet hier, ce qui m'évite de refaire le trajet aujourd'hui. On a enchaîné par le pot de fin d'année, plus nostalgique que d'habitude car des collègues appréciés partent vers d'autres lieux. Je viens de déposer les enfants à l'école, et me voilà seule à la maison pour la dernière fois avant longtemps.

     Journée bienvenue. Prendre une grande inspiration avant de plonger dans l'été. Deux mois doivent paraître infinis à ceux qui n'ont que cinq semaines de congé par an. Pour moi, c'est long, mais agréablement long, et les jours filent entre les doigts si on ne regarde pas ce qu'on en fait. Comme tenir ses comptes en fait : si tu ne vérifies pas ce que tu achètes, tu es fauché tout le temps, même si tu sembles ne rien acheter de spécial.

     Alors, voilà. Plus de cinquante jours. Déjà beaucoup de choses prévues, mais aussi du temps pour construire, modifier, vivre, se reposer. Pas envie de le gâcher.

     Un petit détail, qui n'en est pas un, me gâche le temps depuis trop longtemps. Ces jeux qu'on fait machinalement sur son écran. Il y a eu Candy Crush, autrefois. Je cumulais deux inutilités, en jouant devant la télé. Bon, en fait, j'écoutais au lieu de regarder, tandis que mes doigts se déplaçaient sur un rectangle lisse pour casser des bonbons virtuels. Un jour j'ai arrêté. Et ça ne m'a pas manqué. Plus tard, mon homme a chargé Toon Blast sur son téléphone. Depuis il y joue très souvent, trop à une époque. Moi pareil.

     Mais pourquoi fait-on ça ?
     C'est facile. Accessible. On a l'impression de résoudre une minuscule énigme, un tout petit défi. C'est fait pour être gratifiant : tu passes des niveaux, tu te sens fort, oh là là. Nous avons tous tant besoin de gratification que même des cases de couleur alignées suffisent à nous faire plaisir. On peut le faire à tout moment, pour combler un creux, pour procrastiner.
     La peur du vide. Du silence, de l'immobilité. Du rien. On remplirait de n'importe quoi.
     Avant-hier, ça m'a tellement agacée que j'ai failli éliminer l'application de ma tablette sur un coup de tête. Et puis, non. J'ai préféré attendre. Non que c'eût été grave ; pour que ce soit un vrai geste mûri au contraire. Qui porte du poids et du sens. Voilà qui semble absurde, au sujet d'un jeu basique consistant à détruire des bricoles virtuelles. Mais ces 1300 niveaux accumulés, combien d'heures de ma vie ont-ils absorbés ? Combien de moments de conscience ai-je laissé filer ? On croit que ces jeux sont gratuits. En vérité on les paye en temps. Notre seule ressource absolument non renouvelable.  La plus précieuse. Le temps, et la conscience de le vivre. 

     Je veux passer un été en étant présente à ma vie. Pas m'enfuir mentalement quelques minutes, au moindre creux. Vivre le creux. Retrouver ces instants-tampon entre deux. Et accepter d'être là où je suis plutôt qu'ailleurs, autrement.

 C'est rien du tout. Mais c'est MON temps. C'est tout.

     Je vais de ce pas supprimer l'application.



Allégée d'une futilité et enrichie en temps. Que l'été commence.

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