samedi 29 février 2020

Evidences

     Les conseils d'économie domestique me font parfois sourire.

     Dans l'idée, j'aimerais les suivre, histoire de transformer les petites dépenses insignifiantes et insatisfaisantes en appartement à Paris et en indépendance financière. Mais étrangement, ça ne marche pas.

     Le conseil martelé partout de "stop buying coffee on the go, small expenses add up" (oui, les livres sur l'indépendance financière ne sont pas toujours traduits). D'accord. J'évite soigneusement le café à emporter, pas de problème. Si on est un citadin new-yorkais qui file de taxi jaune en bureau open space, je comprends la pertinence du conseil. Mais quand on vit à la campagne, le café à emporter n'existe même pas. Je passe chez Starbucks à chaque fois que je déambule dans les rues de Paris, seule, ce qui doit culminer à quatre fois par an. Ce n'est pas y renoncer qui ajoutera un mètre carré à mon appartement virtuel.

     J'ai vu une vidéo intitulée "How I cut 20 dollars from my expenses on home products". Très amusant. Alors, disons que pour économiser 20 euros par mois en produits ménagers, il faudrait déjà dépenser vingt euros par mois. Je ne suis même pas sûre de les dépenser par an - ce qui n'est pas bon signe pour l'état de ma maison, peut-être. Encore que : avec du vinaigre et du bicarbonate, on fait pas mal de choses. En faisant la lessive à base de savon de Marseille, d'eau, de bicarbonate, de vinaigre et d'un peu d'huile essentielle, on en est à une dépense folle de… un euro par mois ? Maximum. Probablement moins. 
     Bref. 

     Et le coiffeur ? ça coûte cher le coiffeur, on y va à une certaine fréquence. C'est vite un budget. On pourrait conseiller à quelqu'un qui veut réduire ce poste de dépense :
- d'y aller un peu moins souvent (espacer de deux semaines à chaque fois c'est y aller peut-être une ou deux fois en moins par an)
- de tester les écoles de coiffure, si on est ouvert d'esprit.
     Là encore, c'est un domaine non sujet à amélioration chez moi. La dernière fois où je suis allée chez un coiffeur doit remonter à treize ans. Je déteste ça au point d'avoir décidé qu'en tant qu'adulte responsable, je ne me forcerais plus jamais à aller chez le coiffeur, quitte à avoir la coupe de cheveux que la nature me procurerait, parce que pourquoi s'infliger quelque chose de désagréable dont le résultat est toujours décevant ? Depuis, je coupe moi-même. J'aurais sûrement une coupe plus moderne avec l'aide d'un professionnel. Et en même temps ce n'est pas cela que je veux. De la même façon j'ai dû arrêter toute tentative de coloration il y a six ou sept ans. Je comprends totalement qu'on aime changer de coupe et de couleur, rien à redire là-dessus, mais pourquoi s'obliger à faire quelque chose qui n'a pas de sens pour nous ? 

     Ces postes de dépense sont des évidences pour moi. Ils ne me demandent aucun effort car l'inverse ne me procurerait que très peu de plaisir. Arrêter de déjeuner à la cantine et apporter une lunch box au travail ? Je l'ai toujours fait. Parce que je PREFERE - aucune vertu n'est donc impliquée dans ce choix. C'est facile !

     Alors, où passent mes sous ? 


Je me suis à nouveau posé la question après avoir fini de lire ce livre. Un des nombreux existant sur le mouvement FIRE : Financial Independence, Retire Early. Je l'avais acheté sur un coup de tête (ah ah, les voilà ces dépenses impromptues) et il traînait au fond de ma kindle, où je l'ai débusqué il y a quelque temps. Quand on en a lu une bonne dizaine, on n'attend pas tant que ça de plus du suivant, mais quand même, sait-on jamais…
     Et celui-ci m'a donné un regain de motivation car il pose l'équation qui paraît évidence mais qu'on ne souligne pas toujours : le temps est peut-être de l'argent, mais surtout l'argent est du temps. Du temps compressé. De la liberté de faire, de ne pas faire. C'est bien son seul intérêt. Donnez-nous cent millions d'euros et nous ne saurons pas quoi en faire (bon, donnez-les nous quand même, on va réfléchir). Donnez-nous un million et nous savons tout de suite ce qu'on veut ajouter ou ôter à notre vie. Or, un million d'euros, c'est une somme massive mais pas totalement déconnectée de la réalité. Quelqu'un qui travaillerait pendant 43 ans en gagnant 2000 euros par mois gagnerait un million d'euros. 
     Flippant, non ? 
     Car la vraie question n'est pas tant : comment les obtenir ? mais : que fait-on de cela ? Quels choix de vie pose-t-on ? 
     Je me souviens d'une conversation dans un petit restaurant tibétain, à Paris, avec deux amies et la soeur de l'une d'elle. Elle est médecin, trentenaire, vivant sa vie au jour le jour et racontait quelque chose qui l'avait frappée. Elle avait entendu une des infirmières de son service en grande conversation au téléphone, plusieurs fois, et compris que celle-ci louait des appartements. Elle-même était médecin, gagnait peut-être trois fois plus, mais était locataire et toujours un peu fauchée ; cette infirmière avait un patrimoine qu'elle faisait fructifier et, avec un salaire beaucoup plus bas, possédait bien plus.
     Encore une fois, la question n'est pas de critiquer un mode de vie ou un autre. Tout mode de vie est parfait pour celui qui l'a CHOISI. Si on dépense beaucoup d'argent en vêtements et en sorties parce qu'on adore ça, et que travailler quelques heures en plus est un effort bien justifié pour cette priorité, où est le problème ? chacun dessine sa vie à son idée. 
     Ce que j'ai plus de mal à concevoir c'est le fait qu'on se maintienne dans l'illusion. Le nombre de personnes qui affirment ne pas supporter leur travail, mais ne pas pouvoir en changer, "à cause du train de vie, je ne peux pas me permettre". Non. Là, ça sent l'aveuglement. Soit le travail est vraiment insupportable, auquel cas aucun "train de vie" ne justifie de se faire tant de mal. Soit, et c'est généralement le cas, on aime se plaindre du travail par principe mais on ne le trouve pas si ingérable, moins en tout cas que l'idée d'aller en chercher un autre, et dire "je ne peux pas" devrait plutôt devenir "je ne veux pas vraiment". 
     Dans Quit like a millionaire, Kristy Shen évoque des points dans lesquels je ne me reconnais pas. La décision d'investir en bourse - pas du tout mon truc, par incompétence et par conviction (la société de consommation et des grandes entreprises, bon…). La pression de plus en plus ingérable au travail (même si on a des points de souffrance chez nous, on n'a pas non plus un patron sur le dos qui peut nous intimer l'ordre d'en faire plus ; ou de façon plus sournoise et qu'on peut débusquer). Les hauts salaires, jusqu'à 140 000 dollars par an avec celui de son mari. 
     Alors évidemment, quand tu gagnes 140 000 dollars par an et que tu vis avec 30 000, disons que la marge est toute trouvée et ton million vite atteint. Encore que, la plupart des gens accordent leur niveau de dépenses à leur niveau de revenus et épargnent très peu, surtout aux Etats-Unis. 78% des Américains n'ont pas 1000 dollars de côté - c'est dingue non ? 
      En revanche, ce qui m'a parlé, c'est l'idée de choisir délibérément quoi faire de son argent pour en dessiner une vie sur mesure. Elle a décidé de tout plaquer une fois la somme nécessaire atteinte, et de passer son temps en voyages. Majoritairement l'Asie du Sud-Est car le coût de la vie y est très faible et qu'elle a constaté, au bout d'un an, que pour 40 000 dollars de dépenses annuelles, on peut soit vivre normalement aux Etats-Unis, soit se faire masser dans un spa en Thaïlande et être hébergé dans des conditions luxueuses. C'est un choix de vie, un arbitrage géographique. Tout le monde n'est pas prêt à le faire mais il est sain de constater que c'est plus un problème de CHOIX que de possibilité. Je n'ai aucune envie de m'expatrier. Mais je ne prétends pas qu'il me serait impossible de le faire. 

     
     "Alors, où passent mes sous ? " disais-je, et je ne compte pas me défiler pour répondre ! (je suis toujours curieuse de savoir ce que les gens font de leur argent car cela dessine leurs choix de vie, alors à moi de répondre aussi). En janvier, j'ai principalement renouvelé la garde-robe, ce qui reste assez rare d'ailleurs : quatre pantalons sur Vinted (jamais acheté autant de pantalons d'un coup !) et deux paires de bottes, le tout pour environ 300 euros. Et quelques autres bricoles sur Amazon et chez Action. En février, cette fois c'est le stock de livres que j'ai renouvelé, pour 121 euros (12 livres, une partie d'occasion sur Momox, une autre sur Amazon), des produits cosmétiques Madara (74 euros), du papier photo (16 euros), une petite plante (7 euros), deux petits casiers de rangement (27 euros), un casque bluetooth (même prix).  
     La vraie question étant : est-ce que je regrette mes achats parfois ? 
     Rarement. Seulement, parfois, ceux faits par impulsion. 
     Le problème éthique est cependant d'acheter trop souvent sur Amazon alors que l'entreprise n'a pas besoin de moi, clairement, et que ces expéditions express emballées de carton sont si polluantes. Malgré tout, difficile de faire autrement en obtenant le même résultat. Je voulais acheter la Cartoville de Paris (pour potasser le plan du 5e arrondissement, vous voyez, en prévision de mon appartement ! on se motive comme on peut et j'en ai assez des plans de Paris où la rue qui t'intéresse se trouve toujours dans la pliure de la brochure, saucissonnée). J'ai vérifié dans trois librairies autour de chez moi : pour deux d'entre elles, uniquement les Cartoville de capitales étrangères (à ce propos, le plan de Montréal est d'une géométrie hallucinante pour un européen). Pour la dernière, la Cartoville de Marseille, de Bordeaux, de Lyon… mais pas de Paris. Alors tant pis. Je l'ai commandée, encore, sur Amazon. 
     J'aurais pu faire autrement. Pas la peine de se mentir. La commander, patienter. Mais je n'ai aucune patience. Il ne me serait pas inutile d'apprendre à en avoir, au passage. J'ai choisi la solution de facilité de la consommatrice qui veut toujours tout, tout de suite.
     
     De toute façon, mars sera un mois sans achat. Dès demain, donc. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler, puisqu'en toute logique, au lieu de flâner sur des sites marchands ou dans des boutiques, je serai toute occupée à écrire, n'est-ce pas… Et à lire mon stock de livres !
   

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