jeudi 28 mars 2024

A la bougie

 


      Parfois, les rouages tournent et tout se met en place, clic, clic, clic, comme une évidence qui se préparait en souterrain.

     Il y a plusieurs années, mon père me parle de vente à la bougie. Pardon ? je crois mal comprendre. Il m'explique : il existe un mode de vente aux enchères qui consiste à laisser courir les offres jusqu'à ce que la bougie s'éteigne. J'ai vérifié: cette coutume date du XVe siècle. On allume souvent deux bougies, toutes petites, trente secondes de lumière chacune, et quand la fumée monte, c'est que l'enchère est terminée. Plus personne ne peut surenchérir quand la lumière s'est éteinte.

     Que cette modalité de vente ait eu cours il y a six siècles, c'est fort compréhensible. Qu'elle se pratique encore aujourd'hui, à l'ère des applications mobiles et de l'argent virtuel, devient magique. 

      Il y a quelques semaines, je découvre une vidéo sur la chaîne YouTube de Fayefilms, où elle évoque différentes tendances TikTok pour étudier plus efficacement : elle décide de les tester.




      Ô surprise : une des propositions est d'allumer une bougie et, pour s'encourager à l'endurance, d'étudier aussi longtemps que la flamme brûle. Proposition très perturbante pour elle qui ne trouve que des bougies bien trop longues à se consumer...

            Hier, je regarde une autre vidéo suggérant de se donner des défis pour lire plus. Je me suis rendu compte que je lis bien peu de temps sur 24h, en minutes cumulées, bien moins que je ne pourrais et voudrais en fait, et malgré tout j'ai terminé 105 livres en 2023. D'où mon peu d'empressement à faire plus. Jusqu'à tomber sur les vidéos de Triple L de Mag, qui elle a lu 300 livres en 2023 : bonheur !!! j'ai enfin trouvé mon maître et il me bat à plates coutures !




           Et tout à coup l'évidence m'est tombée dessus. J'allais faire une lecture à la bougie.

           Je ne sais pas si le concept existe, mais on s'en fiche, à présent oui puisque je l'ai inventé !

Matériel :

- du temps
- une bougie, modeste en taille (il me semble que les chauffe-plat rondes tiennent 2h ? c'est déjà beaucoup).
- un livre 

          Du temps, j'en ai : nous sommes jeudi, jour de liberté, à la maison. 
          La bougie traînait sur le plan de travail depuis une semaine. Nous avons accueilli un ado allemand à la maison, qui fêtait son anniversaire précisément pendant son séjour. Sa mère avait glissé une petite bougie dans ses bagages (j'aurais sûrement fait pareil à sa place). En ado standard de 14 ans, il ne l'a pas gardée. Elle semblait assez petite pour brûler vite.
         Quant au livre, facile : j'ai commencé La Servante Ecarlate, prêté par une collègue qui m'en a dit le plus grand bien qu'on puisse en dire, je cite : "Je t'envie de ne pas l'avoir encore lu et de pouvoir le découvrir pour la première fois ! ". Or, oui c'est bien, oui la plume est impressionnante, mais le début m'a paru long à se mettre en place. Un petit coup de boost ne ferait pas de mal.

       11h35 : j'allume la bougie. Je commence à lire.
(Faux : je rouvre l'ordinateur, balance 4 idées sur un fichier texte en réponse à un mail évoquant l'idée d'envoyer un courrier à des députés bref... je referme l'écran, 2mn après je lis).
      Au début, rien de spécial. Je lis, c'est tout. Au bout d'un moment, mes yeux tombent sur la bougie. Je ne peux m'empêcher de guetter sa fonte (car je n'ai aucune idée de la durée à envisager). Pour arrêter ça, je sors la bougie de mon champ de vision (position allongée dans mon lit, gros coussin devant, facile). Plus tard, je la vois du coin de l'oeil mais sans ce besoin de la surveiller.
       12h15. Je devrais aller nourrir les poules. Je pourrais faire une pause, non ? A aucun moment je n'ai décidé de faire ça d'une traite, peu importe. J'éteindrais la bougie et la rallumerais en reprenant ma lecture.
          Mais le Ciel a décidé pour moi. Une vraie tempête s'est abattue à ce moment-là, pluie battante, vent furieux, gris profond. 
           Alors j'ai continué à lire.
           12h33 : la bougie s'éteint et me prend de court. 
           Quoi ? Déjà ? A peine une heure ? J'étais prête à en découdre davantage !

          Bilan : je suis passée de la page 192 à la 262. 70 pages de plus et surtout, l'intrigue a avancé. J'ai lu plus vite que je pensais (sans, à aucun moment, chercher à me dépêcher) et continuer me sera plus facile à présent. Encore 250 pages quand même.

            Verdict : quand j'y pense, il est très rare que je lise aussi longtemps d'affilée. J'ai tendance à saucissonner de la lecture un peu toute la journée, en perfusion, plutôt que m'en imbiber vraiment. Même si je n'étais pas absorbée par le texte au départ, j'ai apprécié ce moment. Alors, oui, mener une lecture à la bougie, pourquoi pas ! je le referai.
             Ne serait-ce que pour la beauté du geste gratuit, qui évalue le temps à la durée d'une lumière, échelle de valeur qui me parle tellement plus qu'un chronomètre.

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