mercredi 13 mars 2019

De la chance


     J'étais étudiante et fauchée. Vraiment fauchée. Dans les rues, je gardais l'oeil sur les trottoirs, à l'affût d'une piécette échappée. Et j'en trouvais, quelques-unes, régulièrement. Mon copain de l'époque faisait de même et on mettait ça dans un petit pot à part, le pot des sous offerts par les gens. Ce qu'on a fait de la somme ? Sais plus. Le total devait être bien modeste de toute façon.
     J'ai souvenir d'avoir lu trois romans dans une librairie, à raison de quelques pages à chaque passage, parce qu'ils venaient de sortir, ne se trouvaient pas encore en bibliothèque et qu'il était impensable pour moi de payer une vingtaine d'euros pour cela. J'ai dû rôder longtemps dans ces rayons. Tout ceci est loin à présent, et je n'ai plus ressenti le besoin de ramasser les pièces depuis mon premier salaire.
     Le besoin, non.
     Mais je le fais quand même.
     Au fond, je trouve ça malvenu d'abandonner cet argent à son sort. Comment ? tout le monde se préoccupe de ce qu'il gagne, de ce qu'il dépense, mais on serait trop digne pour se pencher et ramasser ce qui nous échappe des doigts ? 
     De quand date cette impression que trouver une pièce sera signe de chance, signe du destin, bien plus riche que les quelques centimes que j'y trouvais ? Difficile à dire. Souvenir marquant d'un concours difficile passé moult fois et obtenu il y a six ans. J'étais à Nantes, pour un week-end en famille, entre détente et tension extrême des révisions. Se réveiller à cinq heures dans la roulotte qui nous hébergeait pour lire, analyser, condenser des fiches avant de partir en balade. Et à ce moment l'idée m'a traversée : si je trouve une pièce de monnaie, aujourd'hui, dans cette ville, c'est que j'aurai mon concours. C'est sûr.
     J'ai trouvé deux pièces.
     Joie. Signe du destin. Confiance.
     On visitait un parc; j'ai déposé les pièces, ou non, la même somme avec d'autres pièces (les premières je les gardais, par superstition) dans un petit temple khmer où certains avaient laissé leur obole.
     Je m'en remettais entre les mains du destin. Prête.
     J'ai eu mon concours.
     Autre ville, autre offrande, dans un parc asiatique, pour une amie qui passait elle aussi un concours. Elle l'a eu.
     Une amie gravement malade. Beaucoup d'inquiétude. Demander un signe du destin, une éclaircie. Trouver toute une flopée de piécettes d'un coup. Sourire, presque les larmes aux yeux, pour la confiance retrouvée : bien sûr qu'elle allait guérir. Que tout irait bien. Pouvoir lui envoyer un message disant que le destin le disait, ça irait. Elle a guéri.
        Soyons claire. A aucun moment je n'affirme que c'est grâce à moi que tout ceci s'est produit. Simplement que lire des signes du destin renforce la confiance, rappelle que la magie peut opérer et nous ouvre à une lecture favorable des événements. Comme si nos tentatives étaient protégées de l'échec. Parce qu'il en est ainsi, c'est tout.

      L'autre jour, à Paris, je voulais à nouveau un signe. Je ne l'ai pas trouvé. Forcément : j'avais mieux à faire que de scruter les trottoirs. Tant pis. J'ai admiré la vue et renoncé à gâcher mon temps.

      Mais quelques jours plus tard, devant une boulangerie, sur le parking où les voitures vont et viennent, j'ai trouvé toutes ces pièces, celles de la photo. D'un coup. Je sais bien : de la monnaie renversée en allant chercher le pain, la belle affaire, tu parles d'un signe. Oui, mais ce signe je l'attendais, et il est venu au centuple. Peu après, au marché (oui je sais… au marché c'est facile !) je venais de me dire : "Est-ce que ce projet marchera ? allez, on va dire que oui". Et j'ai à peine eu le temps de traverser la rue qu'une piécette s'est jetée sous mon pied. 

       Alors oui. Je m'arrête, je me baisse et ramasse les pièces. Je me fous de ce que pense les gens. Je me sens favorisée par le destin. Evidemment que je ne vais pas prendre la monnaie de quelqu'un qui vient de la faire tomber, il est question d'argent abandonné, là, négligé. Evidemment que deux centimes ne changeront rien à mon projet. Mais la sensation d'avoir de la chance, si. Fortement.

       Il y a quelque temps, mon fils était au supermarché avec son père, ce qui n'arrive quasiment jamais. Il est revenu avec une petite pièce si légère et étrange que je l'ai prise pour un jouet. On a regardé, déchiffré, comparé sur internet. Il avait trouvé un kopeck. Une vraie minuscule pièce russe, dans un supermarché ordinaire de province ! on a rêvé un peu au trajet qu'avait dû parcourir ce kopeck avant d'arriver dans ses mains. Bien sûr qu'il n'en fera rien de spécial. Mais une petite miette de Russie est venue s'échouer dans sa boîte aux trésors. N'est-ce pas joli ?

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