dimanche 7 novembre 2021

Tisser

 

       De bons jours, et de moins bons. Rentrée demain. Toujours mieux qu' il y a un an sur fond d'assassinat de Samuel Paty et de crise sanitaire aiguë. Est-ce que cela me console de me dire que c'était pire il y a un an ? Pas sûr. Mais on a survécu, et on survivra encore, car il y a trop à perdre à ne pas survivre.


     Un de mes souhaits pour novembre, un engagement (en plus de celui de cuisiner un peu chaque jour et d'étirer mon corps) : tisser. Ce tapis en tresses de t-shirt recyclé ou des bracelets brésiliens ou. ..tiens et le tricot ? Ma mère m'avait un peu appris. Je n'ai pas réessayé depuis mes vingt ans. Je n'avais jamais dépassé le stade du rectangle en jersey. À l'époque j'avais mis au point une technique pour lire en tricotant, en coinçant savamment l'ouvrage sous les bras. C'était au début de ma lecture de Proust. Le projet : tricoter une écharpe en lisant Du côté de chez Swann.

     J'avais lu toute la recherche et tricoté une couverture. 

     Est-ce parce que je finis cette relecture que la pulsion m'est revenue ? Un ou deux tutos YouTube et on remonte quelques mailles. On se lance dans la confection d'un plaid, inutile mais consolateur pour les doigts. Besoin de faire quelque chose de ses mains. De voir l'ouvrage avancer. Métaphore de vie qui progresse, de projet, d'espoir. 

     Ma sidération autrefois en découvrant que texte, textile, même origine, même démarche. C'est construire, faire d'éléments épars un tout qui fait sens.

     Ce mois-ci, texte et textile pour traverser. 

samedi 25 septembre 2021

L'enfer que tu traverses seul(e)

 




Seule, mais avec du café...et le dessous de plat
offert par des amis cet été...et les câlins des enfants...
Bon pas si seule en fait.

Alors, voilà. 

Les soucis, les remises en question. De bêtes problèmes de travail en apparence, mais qui tirent des racines profondes. La suite des ennuis précédents parce que, hein, l'été a beau passer par-dessus, rien ne va jamais changer.

Et un gros coup de déprime. 

Il y a tant de soutiens aussi. Pour un collègue malveillant, en face, tout le spectre arc-en-ciel des compréhensifs, sympathiques, encourageants et jusqu'aux vrais amis. Ils en dégagent de la lumière. 

Mais tu traverses cet enfer seule. Oh, un petit enfer de petit joueur. C'est bizarre que ça t'atteigne autant. Finalement une mauvaise nouvelle ne tombe pas pareil sur un sol solide ou sur des brèches. 

De la peine pour une cousine, puis une amie. Des proches qui doivent être opérés, oh c'est bénin mais au mot "opération " tu te crispes direct. Des fragilités. 

Alors j'en fais quoi ce samedi de cette anxiété qui s'incruste jusqu'au fond de mon week-end ???

Des remèdes simples, immédiats.  On va faire avec ce qu'on a : 

- des odeurs : aller fouiller la salle de bains et déposer sur les poignets quelques gouttes de parfum, d'huile essentielle. Y aller à l'instinct

- du sommeil : sieste dans 2 mn.

- des endorphines : je compte déterrer de l'armoire mon tapis de fakir, outil d'acupression qui a fait ses preuves 

- de la lecture : s'immerger dans la vie des autres pour relativiser la sienne

- bouger : du vélo ce matin. Aller marcher tout à l'heure 

- se planter devant les enfants et déclarer : "câlin du midiiii !". Savourer ce petit corps qui se jette dans tes bras. Et chatouiller un peu pour le faire rigoler.


En dose de cheval je pourrai toujours aller passer un moment avec les poules dans le jardin. C'est apaisant une poule. 

Et essayer de se désengluer des filaments de la déprime. 

D'ailleurs, ça va déjà un peu mieux d'en avoir parler. Car poser les mots redonne le pouvoir. Fibre à fibre, du texte au textile.

samedi 28 août 2021

Insoluble ?

 


     Une anecdote assez anodine en elle-même mais qui m'a amenée à m'interroger.

     Depuis des années, je dors sur le ventre. Depuis des années, bien que je sois de taille moyenne, il m'arrive d'avoir les pieds qui débordent en bas du matelas : ben oui, bien étalée, avec un oreiller en haut, tu finis aux oubliettes. Et je DÉTESTE ça.  Je remontais mon oreiller le plus possible. Voilà tout.

     En fait il m'aurait fallu un matelas plus long. Je doute que ça existe et quand bien même, changer de matelas pour dix orteils qui débordent ne me parlait pas.

     Ne me demandez pas comment l'idée m'est venue (je suis encore trop étonnée qu'elle ne me soit pas venue avant). Et si je décalais le matelas vers le bas ? Après tout on s'en fiche d'avoir l'oreiller entièrement dessus puisque je ne dors que sur le bas de l'oreiller. Et combler le trou comment, et ce serait moche. ..

     Mais non. 

     Un traversin ! Je pouvais en caler un entre la tête de lit et le matelas ! Et trouver une taie et un drap housse assortis. Ce serait à peine visible. 

     Pour me confirmer que j'étais sur la bonne voie, le destin a voulu que ce jour-là le rayon literie soit en promotions (???).

      Et voilà. Le luxe : s'étaler de tout son long et garder les orteils au chaud.

      Alors pourquoi ces années d'orteils suspendus ? Parce que je ne m'étais pas dit que c'était un désagrément qu'on pouvait résoudre. C'était ma faute, ou la fatalité. 

      Et si notre premier défaut était de prendre les situations comme immuables et les problèmes comme insolubles ? De nous habituer trop bien à ce qui ne nous va pas ?


jeudi 17 juin 2021

A un fil

 

Notre maison est mitoyenne. L'arbre, le toit : chez le voisin.
Le mur crade en premier plan, le petit décroché du toit à droite : chez nous.

    Il est 7h59 et la journée est déjà lourde.

    Pourtant l'orage a éclaté cette nuit, ramené pluie et fraîcheur, balayé les tensions électriques d'une grande claque.

    Il faut croire qu'une petite claque traînait encore dans le coin.

    Au fond, ça a commencé hier. Je pars faire les cours en mode commando-rapidité-efficacité, mon conjoint part en réunion à 17h30 et je dois être rentrée avant, pour les enfants.

    Je longe la route et vois, au bord d'un pré, tout près, une croix en bois toute fraîche. De celles qu'on plante pour commémorer un accident. Oh. Le genre de chose qui met toujours un petit coup à la conscience. J'y vois quelques fleurs artificielles, c'est tout, je passe. Me dis que je reviendrai voir, peut-être, qu'a-t-il bien pu se passer ici ? J'habite un tout petit village où les événements les plus frappants tiennent davantage à l'envol des faisans qu'aux accidents de la route. D'ailleurs... les routes y sont désertes. Presque toujours.

    Retour des courses, timing respecté, je passe à nouveau près de cette croix et remarque une ardoise et une inscription. Pas eu le temps de lire. Je reviendrai voir demain.

    Demain c'est aujourd'hui. J'irai voir, mais contre toute attente, je sais déjà ce que j'y lirai.

    Dimanche, nous sommes allés visiter un parc, un grand jardin. Les enfants ont adoré se balader sous les arbres et marcher nu-pied sur la pelouse plus lisse que le tapis de notre salon. Retour vers 18h? sais plus l'horaire exact. Surprise en arrivant devant notre allée : une moto !? que faisait-elle là ?

    En fait, c'était le voisin. Mes pensées dans l'ordre :

- Tiens, je n'aurais jamais cru qu'il faisait de la moto 

- C'est dangereux ces trucs-là (pensée qui me traverse à peu près à chaque fois que j'aperçois une moto)

- S'il démarre maintenant mon fils va hurler (le petit ne supporte pas les bruits violents et va se cacher quand on démarre la tondeuse).

    On lui a fait un petit signe, ou un hochement de tête, lui de même, enfin je ne sais plus mais un petit signe de reconnaissance entre voisins. 

    Puis nous avons ouvert notre portail et sommes rentrés.


    Ce matin, mon conjoint, qui a fait son premier repas au restau hier soir depuis des mois, me donne deux infos :

- Le double hamburger frites lui pèse encore sur l'estomac (eh oui... on a perdu l'habitude)

- il a reçu sur Signal un avis d'obsèques, une info locale donc, mais ne voit pas qui c'est, ce nom lui dit vaguement quelque chose mais...

    Et en me montrant l'écran, il comprend, je comprends.

    Le voisin à moto. 

    Décédé... attends... un message le lundi : M.R... est décédé.


    Le puzzle est en construction. Attends, mais il allait très bien le voisin, un retraité fringant, il ne peut pas être mort de maladie en quelques minutes, ou alors une crise cardiaque ?

    "Mais c'est pas possible, il allait bien, tu te souviens, on l'a vu l'autre soir partir en moto ?"

    Mais alors...cette croix... peut-être ? Donc un accident ?

    "Attends, le message dit en fait : M.R... est décédé hier. Donc c'était dimanche justement!"

    Dimanche.

    Je tape le nom de notre village sur le net et le mot "accident". 

    L'article du journal local surgit. Motard, 70 ans. L'horaire. Sortie de route inexpliquée dans un village, seul (quand je vous dis qu'il n'y a personne sur nos routes). Très gravement blessé, pompiers, hélicoptère. Décès à l'hôpital.

    Quand nous l'avons aperçu, quand nous lui avons fait ce petit signe, de la tête ou de la main, il vivait donc ses dernières minutes conscientes. C'est peut-être le dernier signe humain qu'il ait perçu. 

    Comme c'est brutal.

    Nous le connaissions très peu (et on n'arrivait jamais à se souvenir de son nom, pas sûr qu'il connaissait le nôtre non plus). Il avait acheté la maison il y a quelques mois pour la retaper, n'y vivait pas, nous avons juste échangé quelques mots anodins. Un brave petit monsieur (bien que moustachu). 

    Et puis voilà, plus rien.

    Memento mori. 

    Memento mori.


dimanche 16 mai 2021

Frugale ?

La seule misère bienvenue à la maison :
cette tradescantia zebrina
(feuilles vertes et argent)

        Je rencontre une difficulté inédite et qui ferait se gausser quiconque. 
        Que faire de ton argent quand tu en as assez ? (en a-t-on jamais "trop" ?).
        Autant dire qu'on n'attire pas la compassion avec ce genre de considérations, et c'est bien légitime.

       Voilà la situation. 
       Il y a plusieurs années de cela, je visais une certaine frugalité pour atteindre deux objectifs de front :
- m'approcher d'une certaine indépendance financière
- pouvoir m'offrir les luxes qui comptaient pour moi.

        Oui, oui, je sais. Etre frugal pour vivre dans le luxe, ça paraît absurde. Et pourtant, non, pas pour moi. Je ne recherche pas le-luxe-standard-coopté-par-les-réseaux-sociaux-et-le-voisin, je me fiche pas mal de "keep up with the Johneses". Je veux mes luxes à moi. 

        Parfois, la situation actuelle me semble un entre-deux maladroit. Car ça patine, ça reste flou. J'ai toujours l'impression de dépenser plus que nécessaire, de n'atteindre rien. Mais est-ce le cas ? ne serait-ce pas la conséquence d'avoir déjà obtenu une partie de mes objectifs et de voir les suivants un peu trop loin sur le chemin? Comment persister à avancer quand l'horizon est loin et qu'on est bien, là, tranquille ? Comment se restreindre alors que, concrètement, on pourrait s'acheter tout ce qu'on veut ? (phrase à moduler. Je peux m'acheter à peu près tout ce que je veux, principalement car je suis beaucoup plus branchée bouquins, sac à main et plantes vertes que vacances aux Maldives et Porsche Cayenne) (pour moi, Cayenne, c'est du piment, c'est tout).

        Alors pourquoi ne pas s'auto-congratuler un peu ? Et remarquer les pratiques frugales qui me semblent évidentes mais ont contribué à me faire avancer ? Histoire de s'encourager pour la suite du chemin...

        Car oui, je dépense trop à mon goût. Des livres, des parfums, des produits en tous genres... pas en quantité indécente mais disons que je ne crains pas le manque, loin de là. Nous sommes clairement au-delà du nécessaire.

        Première chose, pourquoi se restreindre ? Pourquoi la frugalité ?
        Y renoncer, plonger dans une frénésie de consommation serait juste insensé. Tout ceci n'est pas si important. Je le sais bien, au fond, nous le savons tous : c'est davantage du plaisir que du bonheur qu'on s'offre ainsi. Pour la salubrité de l'esprit, il faut raison garder et mesure appliquer. Tout comme j'ai entendu parler plusieurs fois de "buffer time", des moments-tampon entre une activité et une autre, je pense qu'on a besoin de "buffer time" entre acquisitions, quelles qu'elles soient, pour ne pas virer en mode automatique. Voilà pourquoi à la boulangerie ce matin, je me suis retenue d'acheter des pâtisseries (la dernière fois ne remonte qu'à dix jours, c'est trop proche). Bien sûr que j'avais de quoi les payer. Ce n'aurait pas été bien méchant. Mais se blaser de manger des éclairs au chocolat, ça entrave ma morale.
        Et puis, les enfants. Il n'est pas question que le monde aille trop vite pour eux. J'ai déjà vite tendance à leur offrir des choses dont je sais qu'elles leur plairaient. A chaque retour de bibliothèque, le petit dernier me lance "Tu m'as asseté des livres ?" ce qui me fait sourire (acheté, emprunté, il s'en fiche tant qu'il peut les lire). Ils ont besoin de sécurité. L'abondance, la surabondance est facteur d'insécurité. On a remarqué des symptômes de stress post-traumatique chez des enfants dont la chambre débordait de jouets, aux Etats-Unis (Simplicity Parenting, Kim John Payne), qui se dissipaient quand on ôtait la moitié du contenu. 
        Je ne veux pas leur inculquer l'idée selon laquelle la meilleure chose à attendre est la prochaine acquisition, le prochain plaisir matériel. Ils ont la sagesse naturelle d'aimer tout autant une balade en forêt, et il appartient au parent de ne pas gâcher ça.

        Ensuite, la frugalité pour m'acheter du temps, de l'autonomie, de l'indépendance. Pour cela, mon plan il y a quelques années était d'investir dans l'immobilier et, un beau jour, vivre des loyers obtenus. Evidemment, dans les faits, c'est un peu plus compliqué que ça.
            Au stade où j'en suis, j'aimerais acheter un appartement à Paris (traduire par : un clapier sympathique dans le 5e arrondissement, où on puisse étendre le bras depuis le lit sans se cogner contre le four). J'ai du mal à y croire tant cela semble compliqué. Malgré tout cet objectif me semble le bon : il me parle vraiment, et quand bien même j'en changerais, il ne peut que m'inciter à une épargne importante (qui ouvre la porte à de nombreuses possibilités).

        Alors frugale ou pas ? Pas vraiment. Mais quand même, oui, par de nombreux petits aspects que je ne prends même plus en compte tant ils me semblent évidents. Comme par exemple :

1) ne jamais déjeuner à la cantine (n'importe quel reste du frigo fait l'affaire)
2) avoir remboursé par anticipation le crédit de la maison : on aurait dû le boucler cet été, or c'est fait depuis trois ans (j'ai argumenté fortement auprès de monsieur pour qu'on accumule l'épargne nécessaire)
3) avoir acheté 3 appartements il y a...six ans déjà ? qui sont en location depuis. Encore quatorze ans de crédit mais c'est autant qui ne part pas en dépenses ordinaires
4) être abonnée à deux bibliothèques (EN PLUS de tout ce que j'achète en la matière)
5) faire des crêpes le samedi soir. Ce qui ne coûte pas grand-chose et plaît à tout le monde
6) avoir des poules et, en général, trois oeufs par jour qui "poussent" dans le jardin
7) refiler auxdites poules tous les restes alimentaires infréquentables ou épluchures en tous genres
8) utiliser des éponges lavables, un outillage menstruel lavable, des lingettes démaquillantes lavables, des chiffons microfibres (...mais...c'est la base non ? il y a vraiment des gens qui font autrement ?)
9) avoir mis en place un virement automatique de 250e par mois sur mon PEL. Bon, en fait c'était pour le bluff : pour montrer à la banquière que si si, j'ai une bonne capacité d'épargne, si un jour la situation exige que j'emprunte. Elle m'a agacée la fois où elle m'a dit qu'on ne pourrait pas me prêter plus de 65 000e. Sérieux madame, tu connais le prix des apparts à Paris ? je ne vais pas acheter une place de parking non plus !
10) avoir acheté une voiture neuve deux fois de suite (trèèèès anti frugal) mais en les payant comptant à chaque fois. C'est mon concept personnel du crédit inversé : au lieu d'emprunter et de rembourser ton véhicule peu à peu, tu décides de la date à laquelle tu penses devoir changer de véhicule, tu mets chaque mois une somme de côté, et le jour J, tu as de quoi l'acheter sans crédit. Conscience bien plus tranquille. Le seul crédit qui vaille est immobilier !
11) avoir réussi un concours qui me permet de gagner plus en travaillant moins, ce qui fait qu'aujourd'hui je gagne autant qu'avant en travaillant à temps partiel. Autant dire que ça change totalement la vie ! (je pourrais aussi travailler à plein temps et gagner bien plus, mais entre le temps et l'argent, croyez-moi, j'ai choisi mon camp depuis longtemps)
12) réussir à apprécier encore des plaisirs simples. Un noyau de mangue qui germe et que je vais replanter en terre, acheter un plat à emporter... on est loin des restaus de luxe, dont la présence de 3 enfants repousse naturellement (la preuve que c'est économique un enfant). Et puis j'aime parfois des choses plus coûteuses mais la flemme est un bon facteur limitant. Exemple : j'adore les huîtres. Un produit de luxe... mais il n'y en a jamais dans le supermarché où je fais mes courses (ou alors, il faudrait faire la queue au rayon poissonnerie, la flemme) et je n'ai pas le courage d'aller voir ailleurs. 

        Tout ceci est bien anecdotique mais j'ai décidé de replonger dans un objectif "mi-chemin" pour m'encourager sur la voie de l'indépendance financière, et donc de l'investissement immobilier. 

    Objectif actuel : remplir mon PEL (pour rappel, on peut y placer au maximum 61 200e). Chose qui ne s'est jamais produite. J'en suis à mon 3e PEL, les deux précédents ayant été vidés à chaque achat immobilier (maison puis appartements) sans jamais avoir dépassé le tiers de leur jauge, et encore. Evidemment 60 000e ne me permettent toujours pas d'acheter un studio au Panthéon. Mais peuvent me rendre plus crédible auprès de la banque pour un emprunt (ah, tu vois Mme la Conseillère clientèle !). Et puis, qu'on soit clair, au pire, si je change d'avis, cette somme sera aisément recyclable, non ?

      Actuellement je suis au tiers de l'objectif. Ce n'est donc pas pour demain. C'est même un objectif à long terme - mais moins long qu'accumuler 280 000e pour un 17m2 vers la rue Mouffetard... 

        On parlera de frugalité orientée. Ou de dépense disciplinée !

jeudi 6 mai 2021

Printemps tactile

 


     Tous les ans, à l'arrivée du printemps, je guette mon tilleul.

     Il est planté là, dans la cour, visible du salon, visible de la chambre. Côté sud. En novembre, je le vois à regret lâcher une à une ses feuilles roussies. Les semaines passent et le constat est un beau jour sans appel : il est chauve. Inutile de fixer les quelques bribes recroquevillées qui s'accrochent encore, comme un homme plaquerait au travers de son crâne quelques mèches longues pour diminuer l'impression de béance.

    C'est fini. C'est l'hiver.

    Le printemps du calendrier ne coïncide pas avec le mien. Je le célèbre quand les nouvelles feuilles apparaissent. Il s'agit d'aller surveiller les petits bourgeons, les observer croître, repérer ceux qui se déplient, se déploient, et un matin, quand on n'y pensait plus, on regarde l'arbre et constate qu'il a retrouvé sa toison.

    Un réconfort nonpareil.

    J'ai longtemps cru que c'était un plaisir visuel, tout ce vert, toute cette sève suggérée.

    Il m'est apparu hier que non. Il s'agit d'un plaisir tactile. Non que je me frotte les joues sous les branches (encore que, ça mériterait d'être tenté). Mais parce que les branches sombres, hérissées, verticales, se sont métamorphosées en petits bouquets clairs et nuageux. Une tout autre suggestion.

    Hier midi, je rentrais du travail, assez pressée, rapport à l'enfant qu'il fallait récupérer pour lui faire passer un test Covid avant la fermeture du labo, opération délicate car file d'attente souvent infinie (spoiler : file d'attente inexistante, zéro minute d'attente et test négatif - un franc succès). Mon humeur n'était donc pas des plus paisibles. Et tout à coup, la nature m'a cueillie. De chaque côté de la route, des champs, des champs de quoi ? Mystère, mais pour l'instant des champs de longues pousses herbacées, qui dansaient sous le vent et dans les rayons du soleil comme une moquette moelleuse. On avait envie de s'y plonger, de s'y rouler (illusion facilitée par l'habitacle de la voiture, qui empêchait de sentir le pincement des onze degrés sur la peau, un peu léger pour une moquette). 

    Et ça m'est apparu d'un coup. Voilà le réconfort du printemps. Ce n'est pas tant la couleur, mais bien la texture. L'enveloppement par la nature. La douceur suggérée, le tissu d'herbe qui amortit la rudesse du sol. Le coton des feuilles qui adoucit la vision des branches. La vie recommencée, un tapis neuf, un vêtement fluide, quelque chose qui habille nos sens bien plus que par les yeux.

    Et aujourd'hui, il pleut. Nulle envie de mettre un orteil dehors. Tout est détrempé, froid, austère, gris.

    Pourtant, la végétation est là. Un tapis absorbant, qui boira toute cette eau et transformera la grisaille en sève éclatante. 

    Quand les rayons seront de retour, je pourrai bel et bien me rouler dans l'herbe.


jeudi 8 avril 2021

Automatique

Les petites voix par Lauret


    Je lis en ce moment - entre autres choses - un livre sur l'intuition.

    Jetons un voile pudique sur le fait que

1) les confinements ont fait grimper mon stock de livres (surtout, ne pas manquer) et le font atteindre une bonne trentaine de volumes en attente, contre dix d'habitude

2) j'en emprunte toujours autant en bibliothèque, même davantage (car elles en prêtent plus à chaque usager), ce qui ne fait pas chuter ma pile à lire

3) la flemme me rend plus facile d'acheter immédiatement un livre qui m'intéresse au lieu de noter son titre pour me le procurer un jour, et puis, hein, il faut soutenir les auteurs, non ?

4) j'ai acheté l'autre jour Les Belles Images, de Simone de Beauvoir, chez ma libraire du coin, sauf qu'il dormait dans le carton de stock depuis un mois (j'avais eu l'intention de l'acheter, l'avais-je fait ? En fait, oui. C'est là où tu comprends que tu dois reprendre les rênes)

5) j'écoute un livre en voiture (mais je ne conduis plus guère ces jours-ci) et un autre quand je marche

     Bref. En ce moment, donc, je lis ce témoignage / étude / réflexion de Christelle Lauret. Intéressant. Car on méprise l'intuition sous prétexte qu'elle n'est pas rationnelle mais ne répondrait-elle pas à un fonctionnement logique de notre être, de notre cerveau, dont on ne maîtrise pas les règles ? 

    Tout comme l'énergie électrique a dû sembler brutale, arbitraire, incontrôlable tant qu'on ne savait pas sur quoi elle reposait, j'imagine.

     Dans le passage que je lisais à l'instant, elle parle de l'effet d'amorçage (p.236). Qui me parle car je l'ai déjà constaté. Si tu t'installes sur une chaise ferme et non un fauteuil mou, tu es plus à l'aise pour une négociation ardue. Toute la méthode Flylady, exposée par Martha Cilley dans Sink Réflexions (une méthode pour reprendre en main sa maison, son ménage) repose sur l'idée qu'il faut de petits conditionnements positifs, parmi lesquels : "Each morning, dress to lace up shoes" - habillez-vous et enfilez de vraies chaussures. On ne télétravaille pas de la même façon en jogging mou et en tailleur veston. La différence doit s'entendre au téléphone d'ailleurs (m'en fiche, je téléphone pas, alors je corrige mes copies sous la couette - mais j'ai besoin du bureau rectiligne pour taper des cours et communiquer avec les élèves). Gretchen Rubin dit dans Opération Bonheur que quand elle se sent fatiguée, elle agit comme si elle était pleine d'énergie pendant quelques minutes, et la fatigue passe. De même, si je me sens vraiment mal au début d'un cours (ça peut arriver), le meilleur remède est de faire comme si de rien n'était : au contraire, s'agiter, être réactive, s'immerger dans l'activité met de côté la fatigue / le mal de ventre / l'angoisse ou tout autre empêcheur de tourner en rond.

        Est-ce magique, stupide, trop facile ?

       Non. Ce phénomène repose sur des fonctionnements corps-esprit qui ont été encore peu étudiés, mal décryptés par la science, ce qui nous autorise à les mépriser, et ce qui est bien dommage car nous les avons déjà tous expérimentés. Qui n'a pas sa chanson remonte-moral, son odeur qui réconforte ? Alors ?

Hier, j'ai senti ce parfum. C'est une de mes "missions" d'avril : humer et analyser chaque jour un nouveau parfum (qui a dit qu'il fallait se coller des missions désagréables ?). J'ai à disposition un lot d'échantillons commandés sur la boutique Jovoy. Même pas peur du confinement. 

           C'est une merveille. 

           N'en disons pas plus. Juste, une merveille. 

           (et comme chacun sait, en ce domaine, la merveille des uns sera le déchet des autres, mais tout de même, il mérite d'être au moins senti).

            J'avais lu la pyramide olfactive. Savais que j'y croiserais de la myrtille et du maté. Je pense que ce sont ces notes qui m'ont joué un tour : le mélange des deux faisait surgir à mon esprit, dès que j'approchais mon nez du poignet, l'image d'une tige de rhubarbe vieillissante, recroquevillée sous un soleil de plomb. 

             Je suis quasi certaine qu'il n'y a pas de rhubarbe dans ce parfum. D'ailleurs, je reconnais nettement la note de maté (ça me donne envie d'en boire à nouveau) et je sens sa proximité végétale avec de la vieille feuille séchée encore sur pied. Bref : mon cerveau identifie les deux notes séparément mais mon esprit en fait surgir une autre réalité.

        Est-ce que tout est à l'avenant ? Est-ce que nous passons notre existence à voir des évidences qui sont des miroirs déformants ? Cette personne qui nous a toujours paru froide et un peu désagréable, ignorons-nous juste qu'elle est rongée par une maladie chronique douloureuse, ce qui lui donne l'air acariâtre ? Allons-nous voir au-delà ? Ou tirons-nous des conclusions rapides ?

            Savons-nous sortir des préjugés quand ils s'imposent à nous aussi spontanément qu'une tige de rhubarbe dans une senteur qui n'en contient pas ?

mardi 2 mars 2021

Joseph



           Joseph, il faut qu'on parle.
          Non mais t'es sérieux, là ? Désolée mais je ne vais pas y aller par quatre chemins. Ce qui ne servirait plus à rien, tu en conviendras - tu en conviens n'est-ce pas ? Je peux te faire répondre ce que je veux. 
            Pratique. 
            Désolant.
            
           J'attendais tellement de toi. Je suis tellement déçue.
        
           Tout a commencé ce soir d'il y a quoi, deux ans ? Sais plus. Tu parlais à la télé. Je n'avais jamais vu ni ton nom ni ta tête, et on devait être quelques centaines de milliers dans le même cas derrière l'écran.
            Je ne sais même plus tellement ce que tu as dit, mais tu as dû être salement convaincant, Joseph. Parce que ma première pensée a été : "Il FAUT que je lise ça". Tout sonnait juste chez toi. Authentique. Tu étais la conjonction de la littérature, de la sociologie et de la vie ordinaire. Tu étais tout ce que j'ai toujours aimé lire. 

            Tu as dû être salement convaincant car à la première occasion (le lendemain ? la semaine suivante ?) je suis passée à la librairie, la vraie-avec-Marie-Claire-derrière-le-comptoir parce que je ne me serais pas vu feuilleter ton bouquin dans une grande enseigne en chaîne, pas avec le message que tu semblais y délivrer.
            Elle n'avait pas le livre en stock. Elle me l'a commandé. Tu avais dû avoir un peu plus de succès que prévu parce que visiblement ce n'était pas simple d'en obtenir un exemplaire. 
            J'ai lu depuis que tu as totalisé 20 000 ventes avant même d'obtenir le prix Roblès à l'automne dernier. Alors évidemment, un chiffre, c'est dur à évaluer. Mais un livre prometteur est édité à 5000 exemplaires, dont une partie repart souvent au pilon. Et le tien a été depuis réédité en Folio. C'est pas une victoire, ça ? Tu peux être fier. Enfin dispo pour les poches et les budgets de prolo. La littérature à portée de tous. Sans rire, tu as de quoi être fier.

            Et puis évidemment, ton livre, je l'ai lu.
            Il était tout ce que j'aurais pu imaginer et tout ce que je n'aurais jamais pu imaginer, faute de l'avoir vécu. Une révélation. Il m'a tellement sidérée que je suis allée rédiger un avis sur Amazon, moi qui le fais si rarement, en me disant que c'est là-bas que le quidam va chercher des avis (je suis un quidam qui le fais souvent), et que les gens méritaient de comprendre à quoi s'attendre : un grand texte. Une claque. 
            Alors, oui, il y aurait aussi l'avis du gars qui trouverait que causer usine de crevettes c'est pas poétique. Depuis quand tu t'es proclamé grand poète ? Tu l'es par essence, comme tous les grands. Et puis non, pas de la poésie, ni de la prose. Tu as créé "la ligne". On te lit comme une ligne de vie. C'est hypnotique. Riche et mouvementé comme la ligne de l'encéphalogramme, ou du battement cardiaque, sur le moniteur d'hôpital, celle qui s'arrête et s'aplatit en faisant biiiip au pire moment alors qu'elle ressemblait au schéma d'une étape Tour de France dans les Alpes sur le programme télé deux secondes plus tôt.

        D'ailleurs, ton livre, j'en ai parlé. Je l'ai relu. Je l'ai même prêté à un collègue allergique à la lecture, en me disant "S'il bloque sur ça, je capitule". Il me l'a rendu au bout d'un quart d'heure de feuilletage en disant que non, vraiment la lecture, c'est pas pour lui, mais il voyait ce que je pouvais trouver d'intéressant là-dedans. J'ai capitulé. Il ne lirait jamais, tant pis pour lui. Il t'avait lu dix minutes, tant mieux pour lui. C'était le mieux qui pouvait lui arriver en ces circonstances.

        Depuis je l'ai offert, deux fois. J'ai triché en le glissant deux années de suite dans mes défis lectures : 2019 et 2020. 

        A vrai dire j'attendais de tes nouvelles. Pas forcément tout de suite. Un livre, ça se peaufine, ça se présente quand c'est prêt, ça ne se calcule pas. Tu n'es pas auteur de fictions standardisées. Ce que tu écris vient de toi et pas de ce que les gens veulent en lire. 

            Je ne m'inquiétais pas.

            Jusqu'à ce que le couperet tombe, la semaine dernière.
            "Ah, j'ai entendu un truc à la radio, zut, c'est qui déjà... je me suis dit, il faut que je lui dise... quelqu'un qui est mort, 42 ans..."
            Merde. Mon âge. C'est indécent, ça (j'espère me dire la même chose quand j'en aurai 90).
            Et il ne retrouvait plus le nom... Ah zut...qui déjà...mais si bien sûr tu connais...

            "...Joseph Ponthus !!!".
            Incrédulité. Quoi ? Il était sûr ? Mais ...mais mort de quoi ?
            Dans l'intervalle de la réponse, penser au suicide, l'écarter tout de suite. Ce serait bien confortable. Une mort "choisie" semble moins injuste, bien que. Mais ça ne collait pas.
            "Cancer". 
            Le temps d'entendre ce mot, j'avais déjà tapé ton nom dans la barre de recherche Google.

            Joseph, tu abuses. 
            Je les attendais, moi, tes livres. On devait être un certain nombre dans ce cas-là. Tu te fends d'une ironie du sort involontaire en ne retournant plus à la ligne et en permettant à tous de faire des blagues tristes sur le "point final" et autres images typographiques.

            Depuis quand on meurt à 42 ans ?
            Depuis quand on meurt quand on a des choses à dire ?
            Et si je meurs, moi, est-ce que j'aurai dit ? Et si tu étais mort quatre ans plus tôt, avant A la ligne, aurait-ce été la même mort ? Non, bien sûr. Tu as vécu, as existé et partagé.
            Merci.
            Mais merde, quand même, aussi.

            Tu vois, la photo ci-dessous ? une vision familière. J'ai dû retrouver ton bouquin dans ma bibliothèque pour la faire. Pas moyen de mettre la main dessus alors que je l'ai triée il y a quoi, trois semaines ? Et je me souvenais t'y avoir vu. Je le savais. Alors quoi ? Là aussi tu avais disparu ? Pénible, Joseph, tu me gonfles. Reviens bon sang.

            Et puis un éclair. Ma petite étagère de mes livres préférés du monde entier. Ceux qui ont représenté une étape, un choc. Improbables et dépareillés; tous relus, tous importants. 
              Tu te cachais là, Joseph. Sur cette étagère.
              Je vais t'y laisser, en bonne compagnie.

            J'avais déjà trouvé ton nom bizarre, sans me poser plus de question. Joseph Ponthus. Cela faisait beaucoup de H pour un seul Homme. Je n'avais jamais pensé que c'était un pseudonyme. Bien sûr que si, Baptiste Cornet, tu vois, tu es démasqué. Je ne sais pas d'où te venait ce choix et tu ne voudras plus répondre à présent. Je demanderai à internet, il sait tout. Mais il a moins de style que toi.

        Nous avions le même âge. 
        Nous n'aurons plus jamais le même âge, du moins, sans vouloir t'offenser, je l'espère.
        Mais j'aurais bien aimé.