jeudi 6 mai 2021

Printemps tactile

 


     Tous les ans, à l'arrivée du printemps, je guette mon tilleul.

     Il est planté là, dans la cour, visible du salon, visible de la chambre. Côté sud. En novembre, je le vois à regret lâcher une à une ses feuilles roussies. Les semaines passent et le constat est un beau jour sans appel : il est chauve. Inutile de fixer les quelques bribes recroquevillées qui s'accrochent encore, comme un homme plaquerait au travers de son crâne quelques mèches longues pour diminuer l'impression de béance.

    C'est fini. C'est l'hiver.

    Le printemps du calendrier ne coïncide pas avec le mien. Je le célèbre quand les nouvelles feuilles apparaissent. Il s'agit d'aller surveiller les petits bourgeons, les observer croître, repérer ceux qui se déplient, se déploient, et un matin, quand on n'y pensait plus, on regarde l'arbre et constate qu'il a retrouvé sa toison.

    Un réconfort nonpareil.

    J'ai longtemps cru que c'était un plaisir visuel, tout ce vert, toute cette sève suggérée.

    Il m'est apparu hier que non. Il s'agit d'un plaisir tactile. Non que je me frotte les joues sous les branches (encore que, ça mériterait d'être tenté). Mais parce que les branches sombres, hérissées, verticales, se sont métamorphosées en petits bouquets clairs et nuageux. Une tout autre suggestion.

    Hier midi, je rentrais du travail, assez pressée, rapport à l'enfant qu'il fallait récupérer pour lui faire passer un test Covid avant la fermeture du labo, opération délicate car file d'attente souvent infinie (spoiler : file d'attente inexistante, zéro minute d'attente et test négatif - un franc succès). Mon humeur n'était donc pas des plus paisibles. Et tout à coup, la nature m'a cueillie. De chaque côté de la route, des champs, des champs de quoi ? Mystère, mais pour l'instant des champs de longues pousses herbacées, qui dansaient sous le vent et dans les rayons du soleil comme une moquette moelleuse. On avait envie de s'y plonger, de s'y rouler (illusion facilitée par l'habitacle de la voiture, qui empêchait de sentir le pincement des onze degrés sur la peau, un peu léger pour une moquette). 

    Et ça m'est apparu d'un coup. Voilà le réconfort du printemps. Ce n'est pas tant la couleur, mais bien la texture. L'enveloppement par la nature. La douceur suggérée, le tissu d'herbe qui amortit la rudesse du sol. Le coton des feuilles qui adoucit la vision des branches. La vie recommencée, un tapis neuf, un vêtement fluide, quelque chose qui habille nos sens bien plus que par les yeux.

    Et aujourd'hui, il pleut. Nulle envie de mettre un orteil dehors. Tout est détrempé, froid, austère, gris.

    Pourtant, la végétation est là. Un tapis absorbant, qui boira toute cette eau et transformera la grisaille en sève éclatante. 

    Quand les rayons seront de retour, je pourrai bel et bien me rouler dans l'herbe.


1 commentaire:

  1. Mais tellement. Tellement vrai, tellement juste, tellement bien dit. De mon balcon, les feuilles des arbres sont devenues si larges, épaisses et denses que j'ai l'impression de pouvoir toucher l'une d'entre elles depuis mon balcon. Avec toute cette végétation, ce qui est magique, c'est que plus personne ne peut me voir, depuis le parc. Je suis entièrement cachée/enveloppée par les arbres. Un beau cocon vert protecteur. Et oui, c'est vert, mais surtout : c'est enveloppant, comme une couverture douce...du tactile, donc.

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