samedi 9 février 2019

Merci

     Depuis quelque temps, j'essaie de dire plus souvent merci.
     Jamais de façon feinte : d'abord, je n'en vois pas l'intérêt. La sincérité ou son absence percent toujours dans nos paroles, non ? Ensuite, il y a tant d'occasions de remercier en toute franchise. C'est simplement qu'on ne prend pas toujours le temps de le faire. En résumé, je pense qu'on ressent davantage de "merci" qu'on n'en prononce, et c'est dommage.

     Je dis merci en l'air, au hasard, au destin, qui me rend service : merci quand la neige prévue n'est pas tombée et que je pourrai conduire sans inquiétude pour mes enfants, merci quand je cherche quelque chose dans un placard et tombe pile sur ce qu'il faut de façon improbable. Merci quand le feu passe au vert juste au moment où j'arrive devant. 
     On parle beaucoup, en ce moment, de cultiver la gratitude. C'est comme tout : une question de focus, en mauvais français. Cela nous fait concentrer notre attention sur ce qui va. On peut faire l'inverse, remarquer tout ce qui cloche (selon nous) et notre vie semblera pourrie. Mais c'est notre choix.
      Oui, râleurs et plaintifs invétérés, sachez-le : c'est votre choix. Si vous ramenez dans les filets trois crevettes et trois déchets, vous pouvez déplorer les déchets. Ou vous réjouir des crevettes. C'est vous qui voyez. Mais merci de ne pas pourrir la vie de ceux qui voient les crevettes en leur parlant de vos déchets à longueur de temps.

     Je dis merci aux vrais gens, aussi, un peu plus, dès que j'y pense et que l'occasion s'y prête. En janvier j'ai passé une flopée de coups de fil (je déteeeeeeste téléphoner) pour des suivis de stage de nos élèves. J'ai posé mes questions, discuté, tout ça. Et puis, à chaque fois, j'ai fini en remerciant le maître de stage d'accueillir notre élève. Toujours à la fin : c'est gratuit et sans contrepartie, la conversation est finie, je n'attends rien en retour. Mais j'ai senti à chaque fois leur voix changer. "Oh mais c'est naturel… Mais vous savez, elle fait du bon travail…". On finissait sur une note positive. Et surtout, ce qui était tenu pour acquis, leur accueil de l'élève, était en fait un cadeau qu'ils lui faisaient, qu'ils nous faisaient. C'est la vérité d'ailleurs : prendre de leur temps pour accueillir des ados, c'est bien. Ce serait dommage de se montrer ingrat. 
     Je dis merci aux gens de l'agence immobilière. Même l'autre jour quand j'ai reçu un mail précisant que des travaux étaient nécessaires, pour 800 euros environ (gloups) et reçu ensuite une facture de 1000 euros (regloups). Le travail fait était légitime. Mais je n'étais pas enchantée de payer si cher. J'ai attendu quelques jours, que ma contrariété s'évapore, regardé à nouveau les photos, vu qu'ils avaient fait du bon travail, et envoyé le paiement par virement ainsi qu'un mail pour les remercier du travail effectué. 
     Et alors, me direz-vous ? Qu'est-ce que ça change ? chacun a fait son boulot, non ?
     Oui, mais la fille de l'agence m'a répondu avec enthousiasme, me remerciant pour mon retour et m'assurant qu'ils mettaient tout en oeuvre pour relouer le logement, etc. Et je sais que c'est sincère, tout comme je l'ai été. C'est l'expression d'une confiance mutuelle. Souvent, on se dit que pour avoir confiance en quelqu'un, il faut qu'il fasse ses preuves. Mais parfois, le fait de lui donner sa confiance fait qu'il ne peut que bien agir. L'élève à qui tu confies tes clés et une mission se sent honoré d'aller chercher quelque chose dans la salle et n'en profite jamais pour mal agir. Jamais (à d'autres moments peut-être, mais pas à celui-là).

     Et le prénom, aussi. Appeler les gens par leur nom est plus puissant qu'il n'y paraît. 
     En prépa, j'avais un prof d'allemand un peu spécial. Il devait être hypermnésique, c'est pas possible. Il parlait 12 langues et était en train d'apprendre la 13e. "Mais comment vous faites ? - Oh, c'est facile, quand on en connaît cinq, pour les suivantes, c'est toujours pareil". Ah oui ? Même quand on apprend l'arabe et le finnois ? Pour lui, oui.
     On a eu un cours avec lui. C'était la rentrée, nous étions des dizaines de nouveaux étudiants. Le lendemain, dans les couloirs, quand il nous croisait, il nous appelait par notre prénom. J'en ai sursauté. Quoi ? il connaissait mon nom ? j'existais déjà pour lui ?
     Mine de rien, prononcer le nom de l'autre, c'est lui reconnaître existence. D'autant plus qu'on le connaît moins. Je suis toujours surprise que les gens sachent qui je suis, au travail en particulier. Pourtant cela semble un peu stupide, moi je sais bien comment ils s'appellent, tous, à part les gens de passage (on est au moins soixante-dix, ça complique). Quand je peux, quand j'y pense, et que je croise les gens le matin, au lieu de dire "Salut", "Bonjour", je dis "Salut Christophe", "Bonjour Virginie", et je sens que c'est déjà un peu différent. On passe du salut formel à la cantonade au salut personnalisé, de la politesse à l'attention. Ce n'est rien. Mais si ça fait du bien, autant les ajouter, ces trois syllabes. 

     Alors la prochaine fois que Gontran fait un truc sympa, je vous assure, prenez cinq secondes de votre temps pour lui dire : "Merci, Gontran !" et cela vous fera du bien à tous les deux. Un geste gagnant-gagnant, les seuls qui vaillent.

(Gontran fait encore partie des prénoms dont j'espère sincèrement qu'ils ne reviendront pas à la mode, c'est bien trop guttural à prononcer. Mes excuses à tous les Gontran. Merci, Gontran, pour tes sonorités gutturales).

2 commentaires:

  1. Alors tout simplement : merci ! Pour vos textes que je lis avec plaisir et intérêt !
    MartineL.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh ! alors ça c'est gentil ! si je peux amuser, ou distraire quelqu'un quelques minutes, mon objectif est atteint !

      Supprimer